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J'ai baptisé mon boucher du nom d'Atlas le Colosse.
C'est un homme plutôt jeune, bien dans sa peau,
c'est à dire qu'il aime son métier, bien entendu.
On le remarque vite quand il empoigne son hachoir
comme un instrument de musique, comme Paganini son violon
pour taillader la masse rouge
et ces fines veinules que parcouraient il y a huit jours
les sens, voire une âme.
C'est un excellent boucher, mon associé,
il vend des morceaux d'animaux abattus
et j'achète, mais nous ne parlons pas de tout cela,
nous parlons de beefsteak.
Pas un mot sur ses loisirs,
quand il part à la chasse
et tue lui-même son gibier avec grand art.
Il regarde en professionnel, il voit
le regard s'éteindre lentement, et les naseaux
qui frissonnent aux portes de la mort,
le parfum du sang, ultime message de l'existence.
Il se repose ainsi du stress quotidien,
mais une telle pratique pourrait heurter mes sentiments,
nous le savons, car pour un mangeur de viande
j'ai le coeur sensible.
J'aime les animaux, je hais les tueries.
Or que deviendrais-je sans mon boucher ?
Debout, droit, il me défend
et maintient l'ordre du monde.
Ainsi, j'ai donné procuration à tant d'autres encore :
la police, le juge, et le lecteur de mes poèmes.
Pentti Holappa, Cinquante deux (1979) trad du finnois par G.Rebourcet. Editions Gallimard 1997.