A tout jamais
Je sors enveloppé d'une fumée épaisse
et je suis la piste brillante d'un escargot
jusqu'au petit muret qui borne le jardin.
Enfin seul, je m'accroupis sur les talons, comprends
ce qu'il faut faire, et me colle soudain
contre la pierre humide.
Je me mets à regarder longtemps autour de moi
et à écouter, utilisant
tout mon corps comme l'escargot
utilise le sien, calme, mais attentif.
Sidérant ! C'est une nuit à marquer
d'une pierre blanche. Après cette nuit
comment pourrai-je reprendre cette
autre vie ? Sans quitter les étoiles
des yeux, je leur fais signe
avec mes cornes. Je reste là
des heures, me reposant, simplement.
Plus tard, encore, la peine se dépose
en gouttes minuscules autour de mon coeur.
Je me souviens que mon père est mort
et que je vais bientôt m'en aller de
cette ville. A tout jamais.
Adieu fils, dit mon père.
Vers le matin, je redescends
et je retourne nonchalamment dans la maison.
Ils attendent encore,
le visage barbouillé de peur,
quand leurs yeux pour la première fois rencontrent mes yeux neufs.
Raymond Carver, Feux. trad François Lasquin. Oeuvres complètes vol 7 Editions de l'Olivier