Elégie pour Philippe Maguilen Senghor (pour orchestre de jazz et choeur polyphonique)
(Extrait)
V
A toi qui a beaucoup aimé, il sera beaucoup pardonné :
Aimé tendrement ton père et ta mère, tes frères
Et tout comme des frères, le maître-de-terre et l'aveugle aux mains d'antennes, le mendiant chassieux
Le Noir et le Toubab tout blanc, les hommes du Soleil levant
L'Arabe et le Berbère, le Maure, mon petit Maure
Mon Bengali, comme nous t'appelions, le Toutsi, le Houttou.
Quand sera venu le jour de l'Amour, de tes noces célestes
T'accueilleront les Chérubins aux ailes de soie bleue, te conduiront
A la droite du Christ ressucité, l'Agneau lumière de tendresse, dont tu avais soif.
Et parmi les noirs Séraphins chanteront les martyrs de l'Ouganda.
Et tu les accompagneras à l'orgue, comme tu faisais à Verson
Vêtu du lin blanc blanc, lavé dans le sang de l'Agneau, ton sang.
Plongeant en bas ta main fine nerveuse, tu enracineras basses et contraltos dans la polyphonie.
Lors avancera doucement, telle une frise de sveltes Linguères, le choeur des Puissances.
Elles évolueront lent lentement, tissant de nobles soyeuses figures
Jusqu'au mouvement soudain du brise-cou, et
Tu souligneras la syncope d'un cri de douleur de joie
Du cri même du paradis, qui est bonheur.
1983
Léopold Sédar Senghor, Elégies majeures, Editions du Seuil 1979, et ajout du présent texte dans ce recueil en 1990.