Je suis
Je ne sais rien et je le sais. N'est pas plus vain,
Penché sur le cristal silencieux des sphères,
Celui qui guette le reflet d'un de ses frères
(Le reflet ou le corps, c'est même chose enfin).
Je suis sûr, tacites amis, tous nous le sommes,
Qu'il n'est qu'une vengeance et qu'il n'est qu'un pardon
Et c'est l'oubli. Quelque divinité fit don
De cette étrange clef à la haine des hommes.
L'erreur a tant d'illustres modes ! Cependant,
Ton dédale me reste une énigme échappée,
Temps singulier et pluriel, cime escarpée,
Temps à moi, temps à toi, temps qui tous nous comprend.
Je ne suis personne, ni ne fus épée
En guerre. Echo je suis, oubli je suis, néant.
Jorge Luis Borges, La Rosa profunda (La Rose profonde-1975), mis en vers français par Ibarra. Editions Gallimard 1983.