Mais le rêve est rêve. il vient et s'enfuit...

Publié le par Fred Pougeard

Mais le rêve est rêve. il vient et s'enfuit...

Monna Lara :

Mais le rêve est rêve. Il vient et s'enfuit.
Et quand dans le matin la maison resplendit,
tous les rêves sont vus sous un autre jour...

La Princesse blanche :

Et sont en nous pourtant tissés pour toujours.
Songe aux images de tes rêves, et demande-toi,
est-il en ta vie quoi que ce soit
de plus vécu ? Et de plus tien ?
Tu dors, seule. La porte est verrouillée. Rien
ne peut se produire. Et pourtant entre en toi
un monde étranger, en toi son miroir.

(Silence)

Souvent, moi dans mon lit, quelqu'un dehors marchait,
un pas s'approchait, s'éloignait, mais ce cognement,
c'était pour moi le coeur d'un autre qui dehors
battait et dont la souffrance était mienne au dedans.
Je souffrais comme une bête aurait souffert la mort,
ce que pour moi c'était, je ne pouvais le dire
à personne. Au matin ma chevelure était peignée
et j'étais de nouveau habillée
pour un jour- ; il me semblait pour une année.
C'était pour moi comme si, tant que j'étais éveillée,
la vie entière était debout : tout ce qui s'était produit
était passé aux mains du rêve, était fini-
mais à présent je sais : tout est et reste là.
Le monde est grand mais en nous il se fait profond
comme l'est la mer. Il n'y a pas de sens ou presque pas
à dire de quelqu'un qu'il dort ou qu'il est éveillé-
sa vie est tout entière en lui de toute façon,
sa douleur devient sienne et son bonheur
ne s'est pas perdu. Dans la profondeur,
sous le calme lourd, ce qui pour lui est nécessaire
se produit au milieu d'une demi-lumière,
et vers lui s'avance à la fin,
visage rayonnant, son destin.

Rainer Maria Rilke, La Princesse blanche, scène au bord de la mer. Traduit de l'allemand par Maurice Regnaut. Actes sud/théâtre de la Ville 1991. (disponible dans la même traduction dans le volume de la Pleïade consacré aux oeuvres théâtrales et poétiques de Rilke.)

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