Qu'y faire ! Nous devons vivre.
SONIA : Qu'y faire ! Nous devons vivre. Nous allons vivre, oncle Vania. Passer une longue suite de jours, de soirées interminables, supporter patiemment les épreuves que le sort nous réserve. Nous travaillerons pour les autres, maintenant et jusqu'à la mort, sans connaître de repos, et quand notre heure viendra, nous partirons sans murmure, et nous dirons dans l'autre monde que nous avons souffert, que nous avons été malheureux, et Dieu aura pitié de nous. Et alors, mon oncle, mon cher oncle, une autre vie surgira, radieuse, belle, parfaite, et nous nous réjouirons, nous penserons à nos souffrances présentes avec un sourire attendri, et nous nous reposerons. Je le crois, mon oncle, je le crois ardemment, passionnément… Nous nous reposerons ! Nous entendrons la voix des anges, nous verrons le ciel rempli de diamants, le mal terrestre et toutes nos peines se fondront dans la miséricorde qui régnera dans le monde, et notre vie sera calme et tendre, douce comme une caresse… Je le crois, je le crois… Mon pauvre, mon pauvre oncle Vania, tu pleures. Tu n'as pas connu de joie dans ta vie, mais patience, oncle Vania, patience… Nous nous reposerons… Nous nous reposerons… Nous nous reposerons !
Anton Tchekhov, Oncle Vania, Acte IV, traduction de Génia Cannac et Georges Perros. L'Arche éditeur 1960.