Dictons

Publié le par Fred Pougeard

 

quand je t'ai connue/mon coeur était plus affamé que le pou d'une perruque/
les poux des perruques sont comme ça/
capables de mourir de faim au milieu de la beauté qui ne leur donne pas à manger/
mais eux/embellis par tant de beautés/
 
commencent à se sentir un autre animal/un petit chardonneret/peut-être/
qui vole et chante tout autour du jour/
un canari plus jaune que le soleil/plus ardent/
un rossignol plus profond que la nuit où je t'ai connue
 
où j'ai connu les deux souffrances de l'oisillon capturé/
qui sont se détacher et s'attacher/
blesser la vie avec amour et endurer la blessure/
être tout pur d'amour muet et faire que son silence déchire les tympans du monde/
 
des herbes d'amour couvrent le petit chardonneret/
mais cela ne veut rien dire/
cela ne veut pas dire que le canari mangera/
que le rossignol ne va pas mourir de faim/
 
je parle de quand j'ai vu ton âme/
et la joie est entrée en moi comme un inconnu/
et mon âme reconnaissante a connu d'étranges merveilles/
et je t'ai aimée doublement/ je t'ai aimée pour toi et pour moi/
 
pour rencontrer l'amour nous avons été mis au monde/pour cette nudité
notre amour est plus étrange qu'un éléphant français/
une fois un éléphant français est passé dans le quartier/
 
il souriait à tout le monde et disait "bonjour"/ "bonjour"
mais personne ne le croyait
où a-t'on vu un français sourire à tout le monde/
seuls les enfants se risquaient à le toucher/
 
ils lui tiraient la queue pour qu'il devienne bleu/
à chaque secousse un petit oiseau sortait de l'éléphant/
un canari ou un rossignol qui se mettait à parler de ta candeur/
un petit chardonneret mort de faim les yeux pleins d'encre et de papier/
 
j'aime le mot besoin en italien/
besoin en italien se dit bi/sogno
ou je bi/songe à toi/femme dont j'ai besoin
deux fois/et d'autres encore
 
cet amour est plus difficile que de caguer dans un flacon/
je t'aime de toutes mes forces sans comprendre la vérité/
je vais de la fureur à la douceur/de la douceur à la peine/
avec des cataractes dans les yeux de l'âme.
 
Juan Gelman, Vers le sud et autres poèmes, présenté et traduit de l'espagnol par Jacques Ancer. Préface de Julio Cortazar.
 
 
 
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :