L'Irlande avec Emily

Publié le par Fred Pougeard

Les cloches sonnent à toute volée dans les allées,
Blanche la brume sur l'herbe.
A présent les Julia, les Maeve, les Maureen
Longent les champs pour aller à la messe.
Des arbres racornis aux petites pommes vertes,
Gardent la chapelle proprette et blanchie à la chaux,
Des portes dorées, un chambranle grené,
Des fenêtres en ogive richement historiées
De vitraux polychromes.
 
Vois-tu les congrégations de noir voilées
Fixer les vêtements liturgiques brodés,
Murmurer devant les stations peintes
Quand ton Sacré Cœur révèle 
La grasse Kildare aux champs parfumés,
Roscommon, fluette dans les ombres des frênes,
Westmeath se mirant dans son lac,
Leix tentaculaire gardée par ses collines,
Toutes agenouillées dans un halo d'argent ?
 
Entre ifs et chèvrefeuille, murs et boules-de-neige,
Enfoncés dans les orties reposent les fidèles ;
Les lieues serpentines de sureau fleuri,
Le sycomore vêtu de lierre,
Les ruines de domaines déserts,
Cernés de tourbières, ceints de ronces-
Des villes riches ou des villes pauvres comme
Elles, oh ! il y en a des comtés pour
Nous protéger au Royaume de l'Ouest.
 
Côte rocheuse, lointaine et étrangère,
Collines pierreuses ruisselant sur l'espace,
Affleurement pierreux du Burren,
Pierres dans tous les lieux fertiles
Petites champs piquetés de rochers,
Bas-côtés de pierres grises tachetés de safran,
Appentis aux murs de pierres, chaumés de roseaux,
Où un peuple de l'âge de pierre engendre
Les ultimes rejetons de l'âge de pierre européen.
 
A-t-elle tenu, la chaleur de juin ?
Elle asséchait les mares laissées par la mer,
Quand nous filions ensemble à bicyclette
Sur les allées inondées de fuchsias.
Jusqu'à ce que se dresse, abrupte et solitaire,
Une abbaye ruinée, rien que son chœur,
Encroûtées de lichens, caressées par les temps,
Surgissaient les arches, larges, splendides,
Romanes contre le ciel.
 
Là, sous l'égide d'un pinacle,
Une famille éteinte attend
Une résurrection de l'Eglise d'Irlande
Près des portes rompues et rouillées.
Laine de mouton, paille et fiente recouvrent
Les tombes des vieilles filles, des libertins et des amants,
Dont le formidable mausolée
Chante son propre Te Deum par la mer porté
Entre les ardoises descellées.
 
*
 
 
Bells are booming down the bohreens,
White the mist along the grass.
Now the Julias, Maeves and Maurrens
Move between the fields to Mass.
Twisted trees of small green apple
Guard the decent whitewashed chapel,
Gilded gates and doorway grained
Pointed windows richly stained
With many-colored Munich glass.
 
See the black-shawled congregations
On the broidered vestment gaze
Murmur past the painted stations
As thy Sacred Heart displays
Lush Kildare of scented meadows,
Roscommon, thin in ash-tree shadows,
And Weastmeah the lake-reflected,
Spreading Leix the hill-protected,
Kneeling all in silver haze ?
 
In yews and woodbine, walls and guelder,
Nettle-deep the faithful rest,
Winding leagues of flowering elder,
Sycamore with ivy dressed
Ruins in demesnes deserted,
Bog-surrounded bramble-skirted-
Townlands rich or townlands mean as
These, oh, counties of them screen us
In the kingdom of the West.
 
Stony seaboard, far and foreign,
Stony hills poured over space,
Stony outcrop of the Burren,
Stones in every fertile place,
Little fields with boulders dotted,
Grey-stone shoulders saffron-spotted,
Stone-walls cabins thatched with reeds,
Where a Stone Age people breeds
The last of Europe's stone age race.
 
Has it held, the warm June weather ?
Draining shallow sea-pools dry,
When we bicycled together
Down the bohreens fuchsia-high.
Till there rose, abrupt and lonely,
A ruined abbey, chancel only,
Lichen-crusted, time-befriended,
Soared the arches, splayed and splendid,
Romanesque against the sky.
 
There in pinnacled protection,
One extinguished family waits
A Church of Ireland resurrection
By the broken, rusty gates.
Sheepswool, straw and droppings cover,
Graves of spinster, rake and lover,
Whose fantastic mausoleum
Sings its own seablown Te Deum,
In and out the slipping slates.
 
John Betjeman, New Bats in Old Belfries (1945)  dans Anthologie bilingue de la poésie anglaise, La Pleïade, Gallimard 2005
 
Photo : John Betjeman (à gauche) avec le poète Philip Larkin
 
 
 
 
 
 
 
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