Abattage
Cherchez, cherchez, oiseaux
Jules Supervielle
L'arbre se changea en main qui chasse des nuages
inutilement tendue vers la lumière au loin ;
sur ses doigts se promenaient de minutieux lézards
qui guettaient entre les feuilles un souvenir obscur.
Des haches l'abattirent, on lui ouvrit la poitrine
à l'aide de crochets, rengaines et paumes baveuses ;
le faîte reposait son oreille sur le sol
enrobé dans sa pluie de grenouilles violacées.
Tombèrent le pin, l'ombú, le mauve eucalyptus,
le peuplier de lait et le saule de douleur.
On les passait la nuit par la scie ou la hache
pour tromper les oiseaux et recenser le bois.
(Les papillons inlassables dans les creux de l'air
de tous côtés cherchaient l'emplacement des feuilles ;
le criquet égaré déambula longtemps
et les oiseaux nichèrent dans l'image disparue.)
Julio Cortázar, Salvo el crepúsculo (1984) Crépuscule d'Automne. Traduit de l'espagnol (Argentine) par Silvia Baron Supervielle, Editions José Corti, collection ibérique 2010
Sur la photo : Julio Cortázar et sa compagne Carol Dunlop