Palm/Paume

Publié le par Fred Pougeard

Je vois que tu mèneras une vie ordinaire, peut-être
auras-tu des enfants, peut-être épouseras-tu
un homme gentil mais in-
signifiant.   Un 
modeste voyage t'attend
(Chutes du Niagara ?    Parc de Yellowstone ?)
    Entreprends-
le.    Prends
les décisions que tu dois prendre :   peins
la salle de bains du haut en bleu, va vivre
dans le Wisconsin.   Peu importe.
mais là, là dans ce pli, ce pli
comme une cicatrice près du pouce - là
je vois encore autre chose.
Les rideaux de cette pièce seront rouges
et déchirés.    Ferme-les. Laisse-le
te conduire lentement vers le lit.   Non
diras-tu, il fait jour
et mon modeste mari me fait confiance.
Fais-moi confiance -c'est
ton moment -celui
dont tu te souviendras (le souffle brûlant
de la brise d'août, le soleil
blanc dans le ciel, la goutte de sueur
sur son cou : elle aura un goût salé sur ta langue).
C'est ce moment que tu portes 
et porteras toute ta vie
même s'il entaille un peu ton pouce
comme un unique éclat de verre qui scintille
dans une carrière d'ardoise.   Un jour
tu mourras, bien sûr, lentement
ni jeune, ni vieille.   Et avant que tu ne sombres dans 
    l'oubli
les voisins parleront de toi avec affection.
D'ici là   referme bien ton poing
sur ce secret.     Meurs
en emportant ce secret mais sans regrets.    Souviens-
   toi
qu'ainsi survivent les faibles, qu'ainsi
les faibles ont toujours survécu.
 
*
 
I see you will live an ordinary life, perhaps
have children, perhaps marry
a kind but un-
remarkable man.   There
is a simple journey that waits for you
(Niagara Falls ?   Yellowstone Park ?)   Go
on it.    Make
the decisions you have to make : paint
the upstairs bathroom blue, move
to Wisconsin.   It doesn't matter.
But here, here in this crease, this crease
like a scar at your thumb - here
I see something more.
The drapes in this room will be red
and torn.    Close them.   Let him
show you slowly to the bed.    No
you'll say, it's daylight
and my simple husband trusts me.
Trust me - this
is your moment -the one
you'll remember (the hot breath
of the August breeze, the sun
white in the sky, the trickle of sweat
on his neck : it will turn to salt on your tongue).
This one you've held
and will hold all your life
though it cuts a bit at your thumb
like a single sliver of glass that glints
from a quarry of slate.    You
will die someday, of course, slowly
not young, not old.   And before you're forgotten
the neighbors will speak of you fondly.
Now    close your hand tight
on this secret.    Die
with this secret but no regrets.    Remember
this is haw the small survive, the way
the small have always survived.
 
 
Laura Kasischke, Wild Brides (1992), Mariées Rebelles, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Céline Leroy. Préface de Marie Desplechins. Editions Pages à Pages 2016 
 
 
 
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