Et puis, la vie, la vie et la vie.

Publié le par Fred Pougeard

(...)

Et puis, la vie, la vie et la vie. Pas malheureux, pas heureux, la vie. Des fois il se disait... mais tout de suite, au même temps, il voyait, et le ciel couché sur tout et loin, là-bas loin à travers les arbres, la respiration bleue des vallées profondes, et loin autour il imaginait le monde rouant comme un paon, avec ses mers, ses rivières, ses fleuves et ses montagnes. Et alors, il s'arrêtait dans sa pensée consolante qui était de se dire : santé, calme, "la Jourdanne"*, rien ne fait mal, ni à droite ni à gauche pas de désir. Il s'arrêtait, car il ne pouvait plus se dire : pas de désir. Et le désir est un feu ; et santé calme, et tout brûlait dans ce feu, et il ne restait plus que ce feu. Les hommes, au fond, ça n'a pas été fait pour s'engraisser à l'auge mais ça a été fait pour maigrir dans les chemins, traverser des arbres et des arbres, sans jamais revoir les mêmes ; s'en aller dans sa curiosité, connaître. 
C'est ça, connaître. 
Et des fois, il se regardait dans la glace. Il se voyait avec sa barbe rousse, son front tâché de son, ses cheveux presque blancs, son nez épais et il se disait : "A ton âge !"
Mais le désir est le désir. 
 
Jean Giono, Que ma joie demeure, Editions Bernard Grasset 1935

* La Jourdanne : sa maison, la maison de Jourdan

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