Mort à mes cendres, mort au marbre

Publié le par Fred Pougeard

Mort à mes cendres, mort au marbre !
ce que je veux c'est le désir,
la noire volupté du sable,
l'éclat gluant du sexe sous la main !
 
Ce que je veux c'est le chemin
de la mer au soleil, le pain
de la bouche à la plaie, le sein
où pouvoir reposer un peu cette misère
infinie, cette mappemonde qui de toute part
fait éclater ma peau, cette volupté
plus vivante que Dieu au centre de l'hostie !
 
Ce que je veux c'est sous tes yeux
cernés pouvoir encore jouir jusqu'au matin
et tout le jour jusqu'à l'inespérance.
Ce que je veux c'est cette amère éternité de la mort
qui donne à tes membres leur violence
 
                                                                                  1er juin 1958
 
*
A ceux-là je dirai
n'apporte pas tes soucis.
Le crépuscule nous a frappé très haut,
les miettes ne peuvent nous suffire.
 
A ceux-là : sur tes lèvres garde
l'odeur de lait, l'odeur de miel
des jeunes corps, l'odeur de sang
(tes yeux cernés, ton sexe lent
nouent mon éternité d'oiseleur pris au sang).
 
Soleil aimé,
soleil du jour,
à ceux-là je dirai :
n'entraînez pas l'amour
sur ces remblais où le hibou peut nous surprendre.
 
*
 
J'ai rincé les fruits.
Nous avons donc perdu l'habitude de la terre,
ce goût des âcres sueurs,
des passages d'abeilles et des orages.
Et le sulfate lui-même était la terre !
J'ai rincé toutes choses dans ma vie.
Mais toi, ô mon désir, ô damnation, demeure,
demeure pour me lier à l'incontrôlable saveur de la terre !
 
Je veillerai donc
et j'irai au-devant des infinies connaissances.
Dès la nuit, dans la ville,
je prends l'affût des signes, des visages.
 
                                                                                       2 juin 1958
 
*
 
L'ALLIÉ DES DÉCOMBRES
 
 
Toutes ces contradictions qui nous conduisent
de l'extrême tension de la chair
à cet arc de plus haute durée : la sagesse,
et au-delà, vers une ligne d'horizon
soumise à ton faste : le verbe.
 
Toutes ces pures insomnies
pour maintenir -ô féroce !- le rêve
de la première nuit dans l'astre maternel.
 
Des marelles aux rides
toutes ces vanités
pour retenir un mot exempt sous les souillures
et qui marche à tâtons dans la froide clarté.
 
                                                                                   3 juin 1958
 
Jean Sénac, Diwân de l'inespérance (extraits) dans Pour une terre possible, édition établie et présentée par Hamid Nacer-Khodja, Points 2013
 
 
 
 
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