Les Plantes grasses
Un de mes lointains parents collectionnait
les plantes grasses. On venait de toute part
pour les voir. Vint aussi le célèbre (?)
de Lollis dégustateur de poésie prosaïque.
Ils s'étaient connus au Mont-Rose
restaurant pour célibataires qui a disparu.
Aujourd'hui n'existent plus
ni serres ni plantes grasses ni visiteurs
ni même le jardin où l'on venait
voir ces merveilles. Quant au parent
c'est comme s'il n'avait jamais existé. Ex-étudiant
à Zurich, recalé en tout,
quand dans notre pays les choses tournaient mal
il hochait la tête et disait à Zurich, ah à Zurich...
Je ne sais quel sens peut avoir le ridicule
dans le tout/rien où nous vivons :
il doit en avoir un et sans doute pas le pire.
*
Il me semble impossible
ma divine, mon tout,
qu'il reste de toi moins
que le feu rouge-verdâtre
d'une luciole hors saison.
La vérité est que même
l'incorporel
ne peut égaler ton ciel
-seules les coquilles qu'imprime le cosmos
dans leur égarement disent quelque chose
qui te regarde.
*
Finies les nouvelles
de San Felice.
Tu as toujours aimé les voyages
et à la première occasion
tu as sauté hors
de ta niche mortuaire.
Mais à présent comment se reconnaître
dans l'Ether ?
*
Toute la foi que j'ai en toi
durera
(je t'ai dit un jour cette sottise)
jusqu'à l'éclair d'outre-monde détruisant
l'immense dépotoir où nous vivons.
Nous nous trouverons alors en je ne sais quel point
si dire point a un sens quand l'espace
manque, discutant tel vers controversé
du divin poème.
Je le sais, au-delà du visible du tangible
nulle vie possible mais l'outre-vie
est peut-être l'autre face de la mort
que nous portions cachée en nous au long de tant d'années.
Toute la foi que j'ai en moi
tu l'as ranimée sans le vouloir
sans le savoir car ici-bas
chaque épave de vie contient une trappe
dont nous ne savons rien et qui peut-être
nous attendait égarés incapables
de lui donner un sens.
Toute la foi que j'ai me brûle ; certes
en me voyant on me dira homme de cendre
sans voir que c'était ma renaissance.
Eugenio Montale, Altri versi e poesie disperse (première parution Turin 1980) dans Poèmes choisis (1916-1980), traduit de l'italien par Patrice Dyerval Angelini, Editions Gallimard 1991