Vieille femme dans les bois

Publié le par Fred Pougeard

Elle ne lit plus de livres —
ils ne lui disent plus rien.
elle n'écoute plus de
 
musique—ça la rend
nerveuse et désireuse. elle
ne regarde plus la télévision—
 
témoin d'un monde
où elle n'a plus son mot
à dire. aucun enfant
 
ne germera d'elle
et elle se refuse à élever
celui d'une autre
 
elle ne s'intéresse pas
aux cercles du pouvoir des hommes
les jeunes hommes l'ennuient
 
les hommes vieux la rendent triste
les hommes puissants la révoltent
une petite-fille en manteau rouge
 
sur ses gambettes fraîches
chemine vers elle. elle a retiré
les exigences du sexe et ses comportements
 
comme un tablier
et chevauche sa vie
comme un chant
 
elle se lève quand il fait clair
va se coucher avec l'obscurité
elle vit avec les étoiles
et la lune qui apportent
une présence éclatante dans sa maison
 
le déclin de ses ovaires elle le traite
avec de l'huile de primevères des flocons
de soja et du trèfle. avec des teintures
de cimicaire d'igname sauvage
elle se défait des streptocoques dans ses glandes
 
le ginseng adoucit ses articulations
garde humides les parois elle prépare des infusions
de blouslangkop et d'acore odorant
pour écouler le cancer hors du sein.
elle arrose les dahlias de pipi matinal
 
une grue couronnée s'avance vers elle
quand elle s'en va cueillir du géranium sauvage
pour ses pommades ou de la sauge
qui pousse alentour quand un aigle
en trois coups d'aile coupe son champ de vision
elle va t'accompagner :
 
masser tes cuisses, ta peau qui s'écaille
enduire tes bras de baumes, elle réconfortera
ton cœur abandonné. elle déverrouillera prudemment
tes yeux fixés sur la terre, étouffera tes oreilles
scellera ton odorat, protègera doucement
ta langue dans ta mâchoire
 
quand elle t'emmènera dans le froid
tu seras seule—chantant dans ta moelle brûlée.
 
Antjie Krog, Une syllabe de sang. Poèmes traduits de l'afrikaans par Georges-Marie Lory. Editions Le Temps qu'il fait, 2013
 
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