Avignon
À peine mon pied avait-il touché le fond
Que l'on m'embrassait sur les joues droite et gauche
Étrange coutume. Ils dévoraient avec minutie
Les gestes aussi légers que les phrases
D'autres, accroupis, battaient avec leur canne
La mesure de la Marseillaise.
Seins et nombrils se glissaient hors des robes
À m'en faire venir l'eau, sous les eaux,
À la bouche :
J'oubliai presque
Où je me trouvais. Les anciens Grecs
Y situaient l'entrée dans le monde des morts
Alors que j'ai pu voir ces gens sous le niveau de la mer
Vivre comme dieu en France. Rassasié abreuvé chantant
Je fus d'emblée converti : ne croire en rien d'autre
Qu'à ce que mes lèvres attrapaient
Olives regards phrases nues sans aucune
Parure, comme il est d'usage dans l'eau.
Puis je m'étendis dans les algues, mes genoux
Entre deux autres, une autochtone entreprit
De me faire la leçon. Nous ignorons
Dit-elle, Tout pêché, donc aussi tous ces châtiments
Qui vous font trembler là-haut. Nul, poursuivit-elle,
Sa bouche contre mon corps, ne peut nous tuer ou nous contraindre
À faire ce qui nous rebute. Nous filons au gré du courant
À travers les frontières. Eh mon gars
Nous ne vivons pas pour demain mais pour aujourd'hui
Que dis-je aujourd'hui, pour maintenant ! Pénétrante parole, quand moi
Je la pénétrai, ce n'est pas un pur drapeau
Qui flotte au-dessus de nos têtes, notre peau
Est la seule bannière sous laquelle nous marchons !
Je tentai, balourd comme je suis,
De la comprendre, mais elle resta froide
Comme n'importe quel poisson, le sourire peint
Et cramponnée à mon fétu, d'une voix câline :
Ne t'en fais pas, nous n'éprouvons rien,
Si ce n'est comme les chats
Qui conçoivent dans la douleur et mettent bas dans le plaisir
Ignorant la souffrance nous ignorons la joie
plongés que nous sommes dans l'eau et pendus à la vie
Comme des chenilles, mais mortes