La camionnette

Publié le par Fred Pougeard

L'odeur d'un feu de bois infesté de cochonneries diverses
(mais qu'est-ce qui brûle ?) pénètre et puis stagne dans le wagon.
 
C'est l'année de la sécheresse : la Marne véhicule une mousse verte
qui devant les barrages s'accumule, plus dense que du gazon.
 
Le long de la voie ferrée deux cyclistes pédalent côte à côte,
suivis d'un long cordon de poussière tel qu'un troupeau de moutons.
 
On voit aussi des chevaux tout à fait émouvants qui broutent,
le cou délicatement allongé comme par un pinceau.
 
La terre—plate avec des couloirs et des enclos de verdure
ouvrant entre les saules de vieux confortables salons—
 
est rose sous le soleil bas luisant à travers une tenture
de brume soyeuse qui l'adoucit mais le laisse parfaitement rond.
 
En tout cas il descend toujours bien moins vite qu'il ne monte,
comme s'il regrettait tout à coup la terre qu'il éclaire, et
 
On a beau savoir que c'est elle qui tourne : ça ne compte
pas du tout. Pendant quelque temps le monde reste en arrêt.
 
Sauf au milieu des champs une minuscule camionnette jaune
qui éclate dans les nuances de pêche trop mûre du soir.
 
Elle fonce en cahotant parmi des maïs et des chaumes,
vers le zénith, ayant fait le plein de super et d'espoir.
 
Jacques Réda, Moyens de transport, avec des illustrations de l'auteur, Fata Morgana 2000
 
 
 
 
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