Prairie légère

Publié le par Fred Pougeard

Etre de l’opium les prairies légères,
Il n’y a rien de tel pour un coeur trop blessé ;
On veut me réapprendre la vie étrangère
Et que j’invite au bal les filles à danser.
 
On veut me changer d’ailes en somme.
J’avais à mon esprit des ailes de fumée ;
On veut que repoussent mes ailes d’homme,
Ce qui fait mal, surtout à la fin des journées.
 
Mes ailes cela coûte un prix fou chaque plume ;
Jadis la pipe ailait l’oiseleur oiselé,
J’étais liège sur l’eau, nuage en l’air, écume,
Je montais, étendu sur un tapis ailé.
 
Là, semblable au sureau qui vole avec ses moelles
(Il vole sans bouger comme un homme qui dort)
Tatoué jusqu’à l’âme et pétillant d’étoiles
Je profitais vivant du mensonge des morts.
 
Tes bonheurs sont pipés et le malheur te pipe.
Voilà ce que le sage inscrira sur sa pipe.
Cependant qu’il est cher à notre esprit chagrin,
Le pavot sinueux couronné de ses grains.
 
                                 *
 
Je possédais l’arbre céleste des artères.
Le silence est musique aux flûtes de bambou,
mais les bourreaux chinois veulent me faire taire
Et caressent la mort pour en venir à bout.
 
Le songe aboutissant aux rizières de Chine,
Il fallait longer la muraille de Pékin.
Les docteurs de Paris essayent la machine
Et dehors j’aperçois rôder jaunes coquins.
 
Je ne dirai jamais le chiffre du silence,
La route j’oublierai qui mène au ciel des cieux,
Sachant que les Chinois sur la point des lances
Montrent la tête du bavard silencieux.
 
Jean Cocteau, Opéra. Librairie Stock 1927
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