Et puis arrive le temps des regrets...
Et puis arrive le temps des regrets.
Dans la demi-lumière des réverbères,
dans la pénombre des illuminations
nous ne reconnaissons plus nos maîtres.
Une ombre s’avance entre nous,
vit, palpite, nous repousse
et victorieuse un instant
rassemble ses courtisans.
Toute vie n’est qu’un battement de cœur,
un bruit de phrases, un clapotis de fautes,
une nuit sur la barque du sexe
qui descend le ruisseau du silence.
Adieu, création tardive
de mes largesses importunes,
chute amère de mes triomphes,
envol de ma tendresse fragile.
O Seigneur, tu marches par le monde
pendant que nous parlons à mi-voix,
tu t’avances d’un pas cruel
et tu respires mon visage.
Tu veux, dans l’herbe sombre
coudre aux défaites humiliantes
les grains interstices du temps
sur l’asphalte des vainqueurs.
Toute chose arrive lentement
et me crie : vis donc, vis,
tourne, tourne devant moi,
comme la ronde folle de l’amour.
Luis sur les semailles douloureuses
et sur les chagrins de chaque jour,
hausse les épaules dans la nuit
et pleure sur tous les hommes.
Joseph Brodsky, Collines et autres poèmes. Traduit du russe par Jean-Jacques Marie. préface de Pierre Emmanuel. Editions du Seuil 1966
Photo, Joseph Brodsky (1980) par Marianna Volkova