Le châtreur

Publié le par Fred Pougeard

Lorsque d'étable en étable roule
le châtreur pour choisir les taureaux
à châtrer, pas besoin de leur toucher 
les boules,
dans les yeux suffit de les fixer :
 
si l'un a le regard doux et cordial,
il est fichu, le châtreur écrabouille
avec sa pince les couilles, et l'animal
de douleur bave et s'agenouille.
 
Mais s'il a le regard bestial et inhumain
et la corne acérée, le châtreur
le gracie, le caresse de la main
et part avec un clin d'œil flagorneur.
 
 
La divinité du taureau
 
C'est un taureau, on le voit bien
quand il aborde la vache, il survient,
 
la lance en arrêt haut dressée,
faisant en l'air ses pattes tournoyer
comme un guerrier ferait tourbillonner
sa massue pour vous fracasser la tête,
 
ses naseaux bouillonnants se vident
de jets de fumées, comme une locomotive
agitant ses pistons à vide.
 
Les paysans le regardent des prés,
cessent le travail tout éberlués :
ils se rappellent que la divinité
est le principe de la fécondité,
et le taureau alors
vaut bien plus que l'encens, que la myrrhe et que l'or.
 
 
Le taureau fasciste
 
Le taureau a la corne en arc bien dessinée
faite exprès pour s'ouvrir une saignée
 
dans le ventre de l'ennemi
il la lui plante dans l'ombilic
 
et il le lance dans les étoiles,
lui arrachant par le trou les entrailles,
 
et quand il tombe à terre il le bombarde
de ruades qui le réduisent en moutarde.
 
Mais la pince à naseaux le retient prisonnier :
tel un fasciste dans sa tenue noire emprisonné,
 
fusil en bandoulière, poignard à la ceinture,
les mains en l'air, l'œil en déconfiture.
 
 
Le taureau et la vache en plastique
 
Maintenant, le taureau est mené en fourgon,
comme un repenti de la mafia,
jusqu'au Centre de Fécondation,
et on le fait sortir dans la cour de ferme
derrière la vache,
dès qu'il la voit se dresse son piston :
il ne sait pas qu'elle n'est qu'un châssis
sans peau, sans os, sans chair.
 
C'est une vache en plastique
avec une vulve élastique,
 
on l'a enduite d'hormones
pour provoquer cinq érections.
 
Le taureau la monte,
la vulve sert de pompe :
 
elle le presse jusqu'au dernier spasme
et ses ventouses saisissent comme des mains :
c'est ainsi, dit Catulle
que Lesbie faisait des Romains.
 
La semence d'une seule éjaculation
est répartie entre deux cents flacons :
pour le taureau c'est un supplice,
pour son maître ce sont soixante millions.
 
 
Après la monte
 
Après la monte, le taurillon
reste apathique pendant quelques jours,
mais son maître tourne tout autour
en répétant : "Réveille-toi, mignon !"
 
Un soupçon naît dans l'oeil de l'animal :
"Mais était-ce bien une vraie vache ?"
en réponse il reçoit une ration spéciale,
et mange et mange à s'en crever la panse. 
 
Ferdinando Camon, Le silence des campagnes, modestes constats en vers. Postface et traduction de l'italien par Patrice Dyerval Angelini. Garzanti Editore 1998, Editions Gallimard 2003.
 
 
 
 
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