Sur la tombe de James U. Curtin, au centenaire de sa mort
À Quarantine Point, un promontoire rocheux penché au milieu des airs, sur la mer des Caraïbes qui le ceint quasiment à 360 degrés, à l’extrême sud-ouest de l’île de Grenade, il y a, au milieu de quelques grandes pierres éparses en un pré mystérieusement vert et apparemment entretenu au cœur de la forêt brûlée par la saison aride, une sépulture unique avec une petite pierre tombale très sobre, au pied d’un arbuste toujours vert. C’est probablement le premier et l’ultime endroit de la côte duquel on aperçoit le soleil tant à l‘aube qu’au crépuscule. Sur la pierre, en direction de la mer et non des passants, est gravée une inscription : In loving memory of my dearly beloved husband James U. Curtin. Born Toronto Oct. 29, 1875 – Died March 24, 1907.
Pour finir, tu parviendras à cet empan
de terre, à ce plongeon absurde
d’un gazon anglais arraché à la forêt,
à ce geste d’une main de roche ouverte sur la mer
et tu trouveras, peut-être, les raisons qui ont mû
chaque souffle, chacun de tes pas illégitimes vers le néant,
entassées au banquet peu avant l’aube
sur la plaque azur de l’océan, et sur l’autre,
infime et immobile
tes lèvres faisant retraite au silence
qui irradie l’avant et l’après-scène.
Et tu trouveras dans le nom d’un frère,
My dearly beloved husband
James Umbert Curtin,
ancré et allongé sans vie
quelque chose qui t’étreint, et là tu sauras
qu’il y a, qu’existe, que ne meurt pas
ce quelque chose enfoui et perdu,
le pacte secret du voyage.
Et sans doute c’est pour quelque chose que tu auras
parcouru cieux et forêts,
pour entendre le chant perçant des singes et des serpents
quand la brume nocturne descend au volcan
et dans le vert plus vert, dans l’azur
plus bleu, dans le noir plus noir,
c’est pour quelque chose sans doute que tu auras
vu s’ouvrir béante la gueule
de la bête meurtrière, vu le crime parfait
mûr pour être extirpé du fourreau de la nuit.
Oh, beloved wife, Miss Curtin,
cent ans maintenant pèsent sur tes larmes,
quelle erreur me conduit ici, témoin retardataire
du pic tourmenté de ton amour, jalousie
ignorée des amants qui ne savent pas
que la lumière de l’aube est lumière du couchant
et la lumière du couchant, une éternité tiède,
et que nos gestes insensés par ailleurs ne sont
que l’ombre de ton ardente espérance
de garder sauf quelque chose qui n’existe pas
si nul ne le nomme.
Miss Curtin, au nom de la lumière
dont le mystère est ombre, je te demande
ce qui réellement est advenu ici,
je te demande de connaître le miracle
qui te conduit à aimer cet homme
jusqu’à lui offrir la mer pour façade éternelle.
Et l’envieront dorénavant Hélène ou Didon
et les plus nobles amantes des poètes auxquelles
des cœurs de papier offrirent des pommes de carton,
non cette euphorie impromptue du destin
ce baiser à vie sur le front
un sempiternel « bonjour (ou bonsoir) mon amour »
que tu lui répètes dans la marche du soleil
et que tu enseignes aujourd’hui à celui qui s’aventure
jusqu’au seuil marin de la quête,
en cet ultime petit mausolée,
nu et dérobé, de la lumière.
Martino Baldi
Traduction © Valérie Brantôme, 2011
Merci à Valérie Brantôme et à son blog aimé,
https://enjambeesfauves.wordpress.com