Si seulement l'odeur devenait connaissance

Publié le par Fred Pougeard

SI SEULEMENT L'ODEUR DEVENAIT CONNAISSANCE, si elle pouvait opérer un grand lavement de l'âme.
 
Qui nous paralyse ? Sommes-nous des égarés dans la forêt des villes,
 
Ayant allumé toutes les lumières sans effacer la nuit ? Il faudrait le feu à même la bouche maintenant,
 
Sentir le soleil sur la joue, toucher la poussière et même cela ne suffira pas.
 
Il faudrait se coucher sur le sol et suivre les vents lorsqu'ils descendent et dispersent la cendre,
 
Attendre qu'un peuple nouveau se lève et fasse une farine neuve des lits et des jours.
 
Même cela ne suffira pas. Pleines de dédain, les couches géologiques brillent comme des vagues immobiles.
 
Les herbes et les algues glissent comme si nous n'y étions pas. La nuit dure si longtemps.
 
La mort ne nous a pas assez fendus. Trop d'intentions nous viennent sans porter le flux de notre sang.
 
Quand logerons-nous dans notre cœur si vaste et si fait à notre mesure ?
 
​​​​​​​Soldats, pas une victoire encore ? Pas une conquête égale à celle de l'arbre qui couvre le sol d'humus ? Nos corps seraient-ils plus fragiles
 
Qu'une toile de tente ? Et nous errons, perdus, entre les braises de nos bibliothèques et les vers oubliés des poètes.
 
Bon sang, mais où se tient donc la sainteté qui porte Dieu ? L'unique et le singulier, quand nous revêtiront-ils ?
 
Même l'être de la mousse suffirait ou celui d'un mur noir d'urine et de tags, ou ce vieux qui se mouche comme la plus ancienne des étoiles.
 
​​​​​​​Je tiens la main de l'enfant et m'apprête à traverser. Je vais disparaître comme n'ayant jamais vécu. 
 
Ayant usé mes forces sur des miroirs à chercher l'espérance, à me construire un cœur patient.
 
Il n'en saura rien. Je quitterai le port, comme une barque indonésienne se glisse entre des paquebots.
 
​​​​​​​À bord, le père et l'enfant que je fus, tandis que le ciel s'éteint dans le clapot des vagues.
 
J'irai rejoindre les grands jardins de la création, où les yeux n'ont pas besoin de mémoire.
 
L'humanité, plus légère qu'une brise, plus invisible qu'une graine, s'éveillera sur les visages des morts comme la terre à son premier matin.
 
Elle chantera le mystère de la joie et de la louange.
 
Pierrick de Chermont, Portes de l'anonymat, à l'usage d'un long voyage en Chine. Editions de Corlevour 2012.
 
Illustration : John Mallord William Turner, Le lac de Zoug. The Metropolitan Museum of Art.
 
 

 

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