La Noce
De l'autre côté de la cour,
Pour festoyer jusqu'au matin
Chez la mariée les invités
S"en sont allés, avec un accordéon.
Derrière les portes de la maison
Garnies de feutre
D'une heure à sept se sont tus
Les éclats des bavardages.
Mais à l'aurore, en plein sommeil,
Quand on ne songeait qu'à dormir,
L'accordéon a résonné encore,
Au sortir de la noce.
Et le musicien a fait rejaillir
Sur son bayan
Les battements des mains, l'éclat des colliers,
Tout le vacarme des réjouissances.
Et encore, encore, encore,
L'écho scandé des refrains
Montant tout droit de la fête
Est venu frapper les dormeurs.
Et puis une femme, blanche comme la neige,
Dans le bruit, les sifflements, le tapage,
Toute fière à nouveau s'est élancée,
Remuant les hanches,
Et l'épaule, et la tête
Et le bras droit,
Dansant sur la chaussée,
Fière, fière, fière.
Soudain l'ardeur et le bruit du jeu,
Le piétinement de la ronde,
Comme engloutis dans les enfers,
Se sont éteints.
La cour bruissante s'éveillait,
Un écho affairé
Se mêlait à la conversation
Et aux éclats de rire.
Dans l'immensité du ciel,
En tourbillon de tâches bleu noir
A surgi un vol de pigeon
Échappés des colombiers.
On dirait qu'on les a envoyés
Tout endormis et chancelants,
À la poursuite de la noce
Pour souhaiter de nombreuses années.
La vie, voyons, n'est qu'un instant,
Rien que la fusion
De nous-mêmes dans tous les autres
Comme en offrande.
Rien qu'une noce qui, d'en bas,
Fait irruption par nos fenêtres,
Rien qu'une chanson, rien qu'un rêve,
Rien qu'un pigeon bleu noir.
Boris Pasternak, Poèmes de Iouri Jivago. Traduit du russe par Hélène Péras. YMCA Press 2020