À Henry Purcell

Publié le par Fred Pougeard

Écoute : comment se peut-il
que notre voix troublée se mêle ainsi
aux étoiles ?
 
Il lui a fait gravir le ciel
sur des degrés de verre
par la grâce juvénile de son art.
 
*
 
Il nous a fait entendre le passage des brebis
qui se pressent dans la poussière de l'été céleste
et dont nous n'avons jamais bu le lait.
 
Il les a rassemblées dans la bergerie nocturne
où de la paille brille entre les pierres.
La barrière sonore est refermée :
fraîcheur de ces paisibles herbes à jamais.
 
*
 
Ne croyez pas qu'il touche un instrument
de cyprès et d'ivoire comme il semble :
ce qu'il tient dans les mains
est cette Lyre
à laquelle Véga sert de clef bleue.
 
À sa clarté
nous ne faisons plus d'ombre.
 
*
 
Songe à ce que serait pour ton ouïe,
toi qui es à l'écoute de la nuit,
une très lente neige
de cristal.
 
*
 
On imagine une comète
qui reviendrait après des siècles
du royaume des morts
et, cette nuit, traverserait le nôtre
en y semant les mêmes graines...
 
*
 
Nul doute, cette fois les voyageurs
ont passé la dernière porte :
 
ils voient le Cygne scintiller
au-dessous d'eux.
 
Pendant que je t'écoute,
le reflet d'une bougie
tremble dans le miroir
comme une flamme tressée
à de l'eau.
 
Cette voix aussi, n'est-elle pas l'écho
d'une autre, plus réelle ?
Va-t-il l'entendre, celui qui se débat
entre les mains toujours trop lentes
du bourreau ?
L'entendrai-je, moi ?
 
Si jamais ils parlent au-dessus de nous
entre les arbres constellés de leur avril.
 
*
 
Tu es assis
devant le métier haut dressé de cette harpe.
 
Même invisible, je t'ai reconnu,
tisserand des ruisseaux surnaturels.
 
 
 
Philippe Jaccottet, Pensées sous les nuages, Editions Gallimard 1983
 
image : La Joueuse de Théorbe (1663) de Frans Van Mieris. National Galleries of Scotland. Photo : Didier Rykner
 
 
 
 
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