Guerne
Les guerres s'enchaînent, le monde court à sa perte, la nature n'est plus que le souvenir du paradis auquel l'enfer a succédé pour le confort de quelques riches, qui prospèrent sur la misère de tous les peuples. Armel Guerne n'en continue pas moins de nous redire, sur fond d'Apocalypse, que la vérité est ici, au plus bas, qui est l'autre nom du plus intime, lorsqu'il est dépouillé de son costume social et de sa prétention à réussir —pour qui, pour quoi ? Elle est dans cette gloire de l'être si fragile, qu'elle se sait menacée de toutes parts ; cette gloire qui retentit sans trompette, mais qui tisse l'unité du brin d'herbe au vitrail de la cathédrale, de la fleur qui éclot au poème qui l'enchante et toujours, en tout lieu, quel que soit le siècle, dans l'esprit de pauvreté. Charles Péguy disait qu'il vaut mieux ne pas parler de la dignité des pauvres, mais plutôt de la pauvreté des dignes. Et Armel Guerne de le confirmer jusque dans sa pratique de la traduction : car de quoi se compose une vie digne de ce nom, sinon de la certitude qu'on doit se défaire de sa prétention à posséder, pour mieux pouvoir se perdre dans l'Autre ? En vérité, Armel Guerne ne s'en est tant allé que pour revenir depuis cet autre temps : cette mort qu'il a fécondée d'un verbe dédié à la Joie. Révolté par compassion, il continue de nous faire signe. J'admire sa manière si singulière, celle des enfants, des malades et des fous en liberté, qu'on ne frappe jamais de ces qualificatifs qu'en vertu d'un devenir mouton qui rejette dans les ténèbres toute révolte agie par les lumières, toute protestation de l'esprit contre la matière, toute dénonciation des fausses valeurs au nom des vraies richesses ; toute insoumission devant les défaites du temps, plus que devant telle ou telle époque forcément en chute, et en ascension également. Comme il l'a écrit : "C'est une forme sûre de sérénité quand on sait désormais que le pire n'est pas devant, mais derrière. Et le pire finit toujours par passer derrière, tout comme la vie à l'heure de la mort. Le ciel commence."
Stéphane Barsacq, Météores, Editions de Corlevour MMXX
A lire ici, d'Armel Guerne :
http://www.proximitedelamer.fr/2017/06/l-attentive.html
http://www.proximitedelamer.fr/2020/03/l-ouverture.html