Marguerites/Daisies
Vas-y : dis ce que tu penses. Le jardin
n'est pas le monde réel. Les machines
sont le monde réel. Dis honnêtement ce que n'importe quel idiot
pourrait lire sur ton visage : nous éviter,
résister à la nostalgie
a du sens. Ce n'est
pas assez moderne, le bruit que fait le vent
dans un champ de marguerites : l'esprit
ne peut briller à sa poursuite. Et l'esprit
veut briller, de façon brute, comme
les machines brillent, plutôt
qu'aller en profondeur, comme, par exemple, des racines. C'est très émouvant
tout de même, te voir t'approcher
prudemment de la bordure de la prairie au petit matin,
lorsque personne ne peut
te voir. Plus tu restes au bord,
plus tu sembles angoissé. Personne ne veut entendre parler
des impressions du monde de la nature : on se
moquera encore de toi ; on t'affublera de mépris.
Quant à ce que tu entends là,
Quant à ce que tu entends là,
ce matin : réfléchis à deux fois
avant de confier à quiconque ce qui s'est dit dans ce pré,
et par qui.
*
Go ahead : say what you're thinking. The garden
is not the real world. Say frankly what any fool
could read in your face : it makes sense
to avoid us, to resist
nostalgia. It is
not modern enough, the sound the wind makes
stirring a meadow of daisies : the mind
cannot shine following it. And the mind
wants to shine, plainly, as
machines shine, and not
grow deep, as, for example, roots. It is very touching,
all the same, to see you cautiously
approaching the meadow's border in early morning,
when no one could possibly
be watching you. The longer you stand at the edge,
the more nervous you seem. No one wants to hear
impressions of the natural world : you will be
laughed at again ; scorn will be piled on you.
As for what you're actually
hearing this morning : think twice
before you tell anyone what was said in this field
and by whom.
Louise Glück, L'Iris sauvage (1992). Poèmes traduits de l'anglais 'Etats-Unis) par Marie Olivier.. Editions Gallimard 2021