À la vitesse d'un souvenir
(...) On voit déjà apparaître la fenêtre illuminée de l'auberge...mais pas un mot, pas un bruit...le silence, comme s'il n'y avait personne à l'intérieur...mais si, quelqu'un joue de l'accordéon...Irimiás essuie ses lourdes chaussures boueuses... se racle la gorge... ouvre délicatement la porte... et la pluie se remet à tomber, à l'est le ciel s'illumine à la vitesse d'un souvenir, se pare de reflets rouges, bleu aurore, s'agrippe aux vagues de l'horizon, et avec une détresse bouleversante, comme un mendiant qui chaque matin gravit péniblement les marches de l'église, voici le soleil qui s'élève pour créer les ombres, détacher les arbres, la terre, le ciel, les animaux, les hommes de cette union glaciale, chaotique, où ils se sont laissé enfermer, telles des mouches dans un filet, et dans l'immensité du ciel il aperçoit la nuit qui s'enfuit de l'autre côté, vers l'ouest de l'horizon, là où l'un après l'autre, chacun de ses frêles éléments vient de s'effondrer, comme des soldats désespérés, désorientés d'une armée vaincue.
Lászlo Krasznahorkai, Tango de Satan (1985), pages 77-78. Traduit du hongrois par Joëlle Dufeuilly, Editions Gallimard 2000
Photographie : Renate Von Mangold