Je trahirai demain
Je trahirai demain pas aujourd'hui.
Aujourd'hui, arrachez moi les ongles,
Je ne trahirai pas.
Vous ne savez pas le bout de mon courage.
Moi je sais.
Vous êtes cinq mains dures avec des bagues.
Vous avez aux pieds des chaussures
Avec des clous.
Je trahirai demain, pas aujourd'hui,
Demain.
Il me faut la nuit pour me résoudre,
Il ne me faut pas moins d'une nuit,
Pour renier, pour abjurer, pour trahir.
Pour renier mes amis,
Pour abjurer le pain et le vin,
Pour trahir la vie.
Pour mourir.
Je trahirai demain, pas aujourd'hui.
La lime est sous le carreau,
La lime n'est pas pour le barreau,
La lime n'est pas pour le bourreau,
La lime est pour mon poignet.
Aujourd'hui je n'ai rien à dire
Je trahirai demain.
(1943 ?)
Marianne Cohn, citée dans Dominique Missika, Résistantes 1940-1944, Editions Gallimard, Ministère des Armées 2021
Marianne Cohn, d'origine juive allemande, fuit l'Allemagne hitlérienne pour l'Espagne et la France. Dès 1941, Marianne Cohn devient agent de liaison pour le Mouvement de la Jeunesse Sioniste. Elles s'occupe prioritairement du franchissement de la frontière suisse pour des enfants juifs parlant mal ou pas le français, ceux qu'il était difficile de faire passer pour de petits chrétiens. Elle est arrêtée en janvier 1944 par les allemands en compagnie de 28 enfants. Torturée, Marianne Cohn ne parle pas. Elle est assassinée par la police allemande en juillet 1944, à coups de pelle et de bottes avec cinq autres prisonniers. Les enfants seront, eux sauvés, grâce à l'action résolue du maire d'Annemasse, Jean Deffaugt (qui reçoit le titre de Juste parmi les Nations en 1965)