Aphorismes de la mort vive
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L'idée qu'on pose une pierre sur leur corps : comme si quelqu'un subitement hurlait à leur encontre : Tais-toi !
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La terre les mange. Les entraits du navire tiennent-ils bon contre les coups de boutoir souterrains ? Qui, pour leur prêter main-forte, dans les secousses et les possibles avaries ? Personne. Personne. Personne.
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J'appelle "mort vive" l'art de ne pas renoncer aux signes dans l'instant précis que tout paraît les congédier.
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Hadès est le mot de la compassion. A-idès : "le lieu qu'on ne voit pas"— qu'on ne doit voir ; où habitent ceux que nous ne voyons plus, qui ne nous voient ni ne se voient.
Ce carnaval d'aveugles aveugle. Entre nous, c'est la seule empathie.
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Où vais-je ? Question d'endeuillé. Michelet la pose à la mort de son fils. Où aller, en effet, dès lors que fait défaut la connaissance du seul nord magnétique ?
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Poème est l'alambic qui tire de la mort la seule goutte de venin capable de nous aider à la surmonter.
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Ce que soulève en nous la mort d'un proche est de même eau que ce qu'y enfle la lecture d'une lettre. D'abord une attention extrême aux minuties, aux voix dehors qui se répondent dans la hauteur des arbres, à une lumière intense aveuglant leur chaos. Puis peu à peu revient l'obscurité. L'humeur atone des suites.
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Christian Doumet, Aphorismes de la mort vive. Avec un frontispice de Jean-Michel Fauquet. Fata Morgana 2019
Illustration Jean-Michel Fauquet, Sans titre, 2018, tirage argentique sur papier baryté, signé, rehaussé à la peinture à l’huile