Déficeler la réalité toujours comme une botte de paille

Publié le par Fred Pougeard

Ton écriture en fibrilles, élans de la main et
du vent dans les lettres.
Tu existes. Tu ne fais pas semblant.
Tes lettres d'amoureux datent de 1957.
Des promesses de papier volent de Brussel à Oderzo,
un champ de mots que rien n'assèche.
Tu n'as écrit dans ta vie que ces lettres
et signé des chèques,
nos carnets de notes.
La calligraphie n'est pas sage,
une fusion qui dépasse les lignes.
Sans doute  mauvais élève
dans cette école de Mussolini.
La nostalgie des "tous pareils dans nos tabliers gris",
enfants de pauvres, enfants de riches,
dans le même plomb.
Rien qui dépasse sauf dans le vent,
les commencements de voyages.
Sur un quai de gare.
 
*
 
La vieille deux-chevaux roule au pas.
La route n'existe plus entre les arbres.
la forêt, le moteur secouent les enfants,
les arbres et les oiseaux qu'on ne nomme pas.
On va au bois comme on va aux cailloux, à la rivière,
d'un trait d'évidence sans lenteur.
Nos épaules se collent aux portières où passent les odeurs
d'essence, de limaces, de terre gorgée d'eau.
 
*
 
L'andaineuse, la lieuse, la botteleuse,
la moissonneuse, le rotovator.
Chaque machine se croit chez elle.
Elles ne sont pas toutes à toi.
On se donne la main entre nous.
Paysans travailleurs.
Ceux qui n'ont besoin de personne, tu les méprises.
​​​​​​​Ceux qui ne prennent pas le temps de donner la main,
de rire, de parler, de lever un verre dans la coulée
du soir.
 
*
 
Parfois une bâche d'ensilage fait un bout de ciel noir
sur un arbre.
De ta fourche tu l'attrapes
​​​​​​​pour délivrer les nuages.
 
*
 
"Je suis le grand Lino, Linoleum le roi du balatum"
Tu fais un pas de danse, une mimique d'acteur.
L'aventure c'est l'aventure.
La même histoire répétée en costume, en savates.
Déficeler la réalité toujours comme une botte de paille,
éparpiller le dérisoire, la bêtise, l'ombre des jours.
Paysan-ferrailleur-rieur,
tu as toujours à faire ailleurs
dans la clairière des fatigues.
un rire qui souffle les pans de peine,
les murs des granges,
le froid des prés le matin.
 
Paola Pigani, La chaise de Van Gogh. Editions La boucherie littéraire 2021
 
 
 

 

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