Ou encore

Publié le par Fred Pougeard

 
   Tout près de moi, ici dans la chambre que voici,
   tonton Josef apprend l'esperanto et pince de la guitare,
   à deux pas de là, tout près de moi, dans la quatrième dimension,
   tout près de moi et avec un pied,
   et avec un pied presque dans la troisième,
   tout près de moi il chuchote : Mi estas esperantisto ! Parolu esperante, Ivano !
   Vous êtes tous dans l'appartement que voici.
   Tout près de moi le livreur mort de la bibliothèque de prêt de périodiques illustrés ouvre justement la porte.
   Tout près de moi grand-mère prend un illustré.
   C'était le premier jour. Elle venait de s'abonner. Tout près de moi.
   Vous êtes tous dans l'appartement que voici.
   Le compositeur mort qu'elle aimait sourit dans son cadre noir.
   Tout près de moi la mort toujours présente fauche les compositeurs.
   Tout près de moi les espérantistes s'en vont en foule dans l'au-delà.
   Vous êtes tous dans l'appartement que voici.
   Tonton Josef proteste : Mi estas esperantisto !
   Tout près de moi sans mot dire la mort montre la porte.
   Et tonton Josef d'un pas hésitant passe dans la salle à manger, tout près de moi.
   Tout près de moi il descend l'escalier.
   Vous êtes tous dans l'appartement que voici.
   Je vous en supplie faites enfin réparer cette antique machine à coudre !
   Chuchote quelqu'un quelque part tout près de moi.
   Tout près de moi,
   vous êtes tous dans l'appartement que voici.
   C'était pourtant un modèle à pédale, mais un vieux.
   Nous sommes tous dans l'appartement que voici.
   Sauf tonton Josef qui vient de sortir dans la cour.
 

Ivan BlatnýÀ la recherche du temps présent (1947), dans Le Passant. Traduit du Tchèque par Erika Abrams. Orphée, la Différence 1992

 
   
.
 
 
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :