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Lessive au vent

Publié le par Fred Pougeard

Qu’elles sont belles les lessives claquant dans le vent.
Qu’elles sont belles, et qu’elles sentent bon l’eau claire et le gravier,
toutes les plantes fines, et la lavande et le laurier.
 
Elles ont retourné la poussière aux ruisseaux, les crachats et la terre.
Les robes rouges, les chemises, et tout le bleu des tabliers.
Elles rendent au souffle de l’air une ultime sueur.
 
Et les culottes en guirlandes, et les serviettes en drapeaux,
et les draps amarrant les berceaux aux pommiers du village,
et les draps secouant les amours par-dessus les blés verts,
les agonies jusqu’aux nuages.
 
Et les draps et les nappes, liant le vin et le roncier, et le pain blanc avec les lierres,
et le linceul avec les langes.
 
Soleil, brille soleil ! et toi souffle, vent frais.
Car elles sont lavées dans la mousse et le rire de l’eau, dans l’écume et les rires des eaux,
nos froides peurs et nos souffrances.
 
16 mars 1982
 
Marcela Delpastre, L’Araignée et la rose et autres psaumes (1969-1986)Las Edicions dau chamin de sent jaume, 2002
 
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Je suis tout nouveau sur la terre...

Publié le par Fred Pougeard

 

Pour Frédéric
 
Je suis tout nouveau sur la terre
Je ne connais pas ta misère
Tu me regardes je souris
Le grand amour est à ce prix
 
Tu me demandes je te donne
Puis je m’endors dans mon berceau
Je me moque quand tu raisonnes
Je suis en l’air tu es en haut.
 
Rien ne me touche quand tu parles
C’est ta grimace que je vois
Que tu dises Marseille ou Arles
C’est même ville même voix.
 
J’attends d’être grande personne
Rien ne presse tout vient à point
Et quand j’entends l’heure qui sonne
Elle me dit : va ce n’est rien
 
Ce n’est qu’un vagabond qui passe
A travers les chiffons du temps
Et de sa canne l’âme lasse
En froisse certains, doucement.
 
Je suis voyou je suis voyelle
Je sais vivre dans tous les sens
Comme reine d’échecs, j’épelle
Les premiers mots de l’existence.
 
Ils sont propres comme un caillou
Comme un chou blanc, comme un genou
Vierge encore de toute chute
C’est avec l’ange que je lutte.
 
Georges Perros, Poèmes bleus, Editions Gallimard 1962
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A Barjac...

Publié le par Fred Pougeard

Photo Thomas Goisque

Photo Thomas Goisque

(…) A Barjac, une plaque sur le mur du cimetière :

« Passant, arrête-toi et prie, c’est ici la tombe des morts. Aujourd’hui pour moi, demain pour toi. »

Le souvenir de ma mère défunte me murmurait confusément ce genre de chose. Sa pensée m’escortait par des jaillissements nés d’une vision : pourquoi le souvenir des disparus est-il lié à des spectacles anodins comme une branche oscillant dans le vent ou le dessin de l’arête d’une colline ? Soudain, les spectres surgissent. Pendant quelques mois, j’avais porté une bague à tête de mort qu’on m’avait retirée après ma chute. L’inscription latine gravée au revers du crâne disait la même chose que la plaque de Barjac : « Je fus ce que tu es, tu seras ce que je suis. » J’avais tardé à me pénétrer de cette évidence que les Romains inscrivaient à l’entrée de leurs cimetières. Décidément, j’avais deux millénaires de retard. Il était criminel de croire que les choses duraient. Les matinées de printemps étaient des feux de paille. Voilà longtemps que je ne m’étais pas trouvé exactement tel que je le désirais : en mouvement. Je jouissais de me tenir debout dans la campagne et d’avancer sur ces chemins choisis. Noirs, lumineux, éclaircis. C’était la noble leçon de Mme Blixen devant le paysage de sa ferme africaine : « Je suis bien là, où je me dois d’être. » C’était la question cruciale de la vie. Le plus simple et la plus négligée.

Sylvain Tesson, Sur les chemins noirs, pp 86-87 Editions Gallimard 2016

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Aux origines

Publié le par Fred Pougeard

Te retrouver ainsi, sentir
en moi que tu es pareille
au vent et aux anémones.
Aux origines. Te retrouver
après le temps de l’abandon
après les outrages et la haine
sans repentir, sans pardon.
 
Comme un homme qui veut être seul
je me suis tenu loin de toi
pendant des années, plus seul
qu’un mur effondré
plus atone qu’une pierre
que la mer n’asperge pas.
Puis vint le temps du voyage.
Où nous sommes-nous rencontrés,
Âme ? Sur quelle place
de nos villes, en quelle prairie,
au bord de quel torrent ?
 
Maintenant tu es là, depuis toujours
semblable au vent, aux fleurs, aux volcans.
Aux origines.
 
Guiseppe Conte, Dialogue du poète et du messager, dans Villa Hanbury et autres poèmes, traduit de l’italien par Jean-Baptiste Para. Editions L’Escampette, 2002.
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Le rivage

Publié le par Fred Pougeard

Le rivage

Je ne m'étais pas englouti à jamais
dans les eaux toutes noires
je suis ressorti difficilement à la surface
j'ai vu le ciel briller
et désormais je ne me souciais plus
du passé inaccompli
je n'essayais plus de me retenir
à un avenir programmé
j'ai nagé jusqu'à la rumeur
du rivage couvert de monde
et je me suis allongé dans le moelleux
du sable mille fois piétiné

Titos Patrikios, Sur la barricade du temps, Anthologie. Traduction du grec et choix de poèmes par Marie-Laure Coulmin Koutsaftis. Editions Le temps des Cerises 2015

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Mon cher Zadig...

Publié le par Fred Pougeard

Mon cher Zadig...

"Mon cher Zadig

Je t’aime beaucoup parce que tu as beauscoup de chasgrin et d’amour par même que moi ; et tu ne pouvais pas trouver mieux dans le monde entier. Mais je ne suis pas jaloux qu’il est plus avec toi parce que c’est juste et que tu es plus malheureux et plus aimant. Voici comment je le sais mon genstil chouen. Quand j’étais petit et que j’avais du chagrin pour quitter Maman, ou pour partir en voyage, ou pour me coucher, ou pour une jeune fille que j’aimais, j’étais plus malheureux qu’aujourd’hui d’abord parce que comme toi je n’étais pas libre comme je le suis aujourd’hui d’aller distraire mon chagrin et que j’étais renfermé avec lui, mais aussi parce que j’étais attaché aussi dans ma tête où je n’avais aucune idée, aucun souvenir de lecture, aucun projet où m’échapper. Et tu es ainsi Zadig, tu n’as jamais fait lectures et tu n’as pas idée. Et tu dois être bien malheureux quand tu es triste. Mais sache mon bon petit Zadig ceci, qu’une espèce de petit chouen que je suis dans ton genre, te dit et dit car il a été homme et toi pas. Cette intelligence ne nous sert qu’à remplacer ces impressions qui te font aimer et souffrir, par des facsimilés affaiblis qui font moins de chagrin et donnent moins de tendresse. Dans les rares moments où je retrouve toute ma tendresse, toute ma souffrance, c’est que je n’ai plus senti d’après ces fausses idées, mais d’après quelque chose qui est semblable en toi et en moi mon petit chouen. Et cela me semble tellement supérieur au reste qu’il n’y a que quand je suis redevenu chien, un pauvre Zadig comme toi que je me mets à écrire et il n’y a que les livres écrits ainsi que j’aime."

Marcel Proust, Lettres à Reynaldo Hahn, Editions Gallimard 1956

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Mésopotamie

Publié le par Fred Pougeard

Mésopotamie

M'éveillant à l'aube, dans la maison d'un autre,
j'entends une radio dans la cuisine.
Une brume flotte derrière la vitre pendant
qu'une voix de femme donne les infos, et puis la météo.
J'entends cela, et le bruit de la viande
entrant en contact avec de la graisse brûlante dans la poêle.
J'écoute encore un peu, à moitié endormi. C'est comme,
mais pas comme, quand j'étais enfant et qu'au lit,
dans le noir, j'écoutais une femme pleurer,
et un homme élever la voix par colère, ou désespoir,
avec la radio en fond sonore. Tandis que
ce que j'entends ce matin c'est l'homme de la maison
qui dit "Combien d'étés me reste-t-il ?
Réponds si tu peux." Pas de réponse de la femme
à ce que j'entends. Mais que pourrait-elle répondre,
étant donné la question ? Une minute après,
j'entends sa voix à lui parlant de quelqu'un qui je pense
doit être mort depuis longtemps. "Cet homme là pouvait dire
'Ô mésopotamie !'
et émouvoir son public aux larmes."
Je me lève ausitôt et enfile mon pantalon.
Assez de lumière dans la chambre pour que je voie
où je suis, finalement. Je suis adulte, après tout,
et ces gens sont mes amis. Ca
ne va pas fort pour eux ces temps-ci. A moins
que ça n'aille mieux que jamais
parce qu'ils se lèvent tôt et parlent
de choses aussi considérables
que la mort et la Mésopotamie. En tout cas,
je me sens entraîné vers la cuisine.
Tant de choses mystérieuses et importantes
ont lieu là-bas ce matin.

Raymond Carver, La vitesse foudroyante du passé (1986) trad Emmanuel Moses. Dans Poésie. Oeuvres complètes 9 Editions de l'Olivier.

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Loin

Publié le par Fred Pougeard

Loin

J’avais oublié les cailles qui vivent
sur les hauteurs derrière chez Art et Marilyn.
J’ai ouvert la maison, fait du feu,
et après dormi comme un mort.
Le lendemain matin il y avait des cailles dans l’allée
et dans les buissons sous la fenêtre de devant.
Je t’ai parlé au téléphone.
Essayé de plaisanter. T’en fais pas
pour moi, j’ai dit, j’ai les cailles
pour me tenir compagnie. Sauf qu’elles se sont envolées
quand j’ai ouvert la porte. Une semaine a passé
elles ne sont toujours pas revenues. Quand je regarde
le téléphone silencieux je pense aux cailles.
Quand je pense aux cailles et à la façon
dont elles sont parties, je me rappelle t’avoir parlé ce matin-là
et le poids du combiné dans ma main. Et mon cœur-
les choses brouillonnes qu’il faisait à ce moment-là.

Raymond Carver, Où l’eau s’unit avec l’eau. Trad Jacqueline Huet et Jean Pierre Carasso. Poésie Œuvres complètes volume 9. Editions de l’Olivier.

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Extrême de la musique

Publié le par Fred Pougeard

Extrême de la musique

Gustav Mahler, IXe Symphonie, IVe mouvement

C’est une mélodie d’abord simple et de ligne étendue, presque trop pure dans sa mélancolie tonale ardemment confidentielle, qui bientôt par les croisements profonds de ses éléments, les superpositions sans fin, l’esprit des timbres et l’épaisseur devenue peu à peu prodigieuse, atteint à une énormité sans limite dans la profusion, le don, l’amour, les jeux graves. Un monde extrême se déroule de plus en plus ardent, mais de plus en plus arraché à un son conquérant la nouvelle langue, épaisseur inextricable de forêt d’étoiles ou limpidité mince des sphères. Cette calme forme de surabondance aux suppliantes extases, cette élaboration suprême de la Force en myriades de vouloir et de larmes, c’est encore la mélodie première mais elle est passée à l’échelle de l’être universel, tant qu’elle se brise plusieurs fois sur des à-pics du destin.
Beaucoup plus tard, quand l’œuvre est intérieurement finie, reprend l’idée, la première, qui lentement, lentement sous le poids de ses richesses, se défait, tombe en fragments lointains, opère sa propre destruction, et lentement, très lentement meurt.
Ainsi que l’a écrit la femme de l’artiste,« il téléphonait avec Dieu ».

Pierre-Jean Jouve, Proses, « la voix, le sexe et la mort », Editions Mercure de France 1960

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Cher éditeur

Publié le par Fred Pougeard

Cher éditeur

Espèce de con intégral putain d'enfoiré de mes deux
tu crois vraiment qu'un travail d'écrivain -
mon travail- se résume à une sorte
de truc
mécanique
jetable
un tour de passe passe au clavier ?
Tu t'imagines qu'un roman peut s'improviser en play-back dans un programme d'ordinateur
- que c'est comme battre un jeu de cartes ou taper
une putain d'adresse GPS sur le tableau de bord
de ta berline BMW bleu pastel
à quatre vingt dix mille dollars ?

La prochaine fois qu'on se rencontre
cher pignouf de sous-homme d'éditeur
et que je te soumets un texte
je pourrais peut-être sauter sur ton bureau et presser
le canon d'un flingue
entre tes yeux écartés
qu'on ait une conversation authentique
sur ce que je fais en tant qu'artiste
à savoir
me découper la bidoche et en recouvrir de morceaux
saignants
la page
afin que le premier venu
sous réserve d'être suffisamment ouvert et intéressé
pour connecter son esprit
avec le mien
puisse voir à l'intérieur de mon
coeur.

Crois-le ou non
éditeur de mon coeur
je n'en ai rien à branler que mon dernier recueil de
nouvelles
jure avec ton programme de l'année prochaine.

Mais sois sûr d'une chose :
je continuerai de faire ce que j'ai toujours fait
-m'ouvrir autant que j'en suis capable
et m'arracher
ma vanité mes illusions
couche après couche
et explorer et proférer ma plus profonde
ma plus intime vérité
jusqu'au jour
où ma femme
et mon gosse
recouvriront mon corps de neige carbonique
avant de me coudre les yeux
les lèvres
et de balancer mes restes puants
à la mer
du haut de la jetée de Santa Monica

Et une dernière chose cher éditeur :
merci
encore
d'avoir
pris
autant de temps
pour
examiner
mon travail

Dan Fante, Bons baisers de la grosse barmaid, poèmes d'extase et d'alcool. Trad Patrice Carrer 13e note éditions 2009

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