Humain terrestre âgé de cinquante ans Avec son lot de chance et de malchance, Je me suis retrouvé un jour, quittant Le monde, dans un monde de silence. L’homme n’y existait qu’un petit peu, Des derniers restes de ses habitudes Mais sans désir aucun, sans aucun vœu, Et n’avait ni surnom ni matricule. Mille visages indifférenciés M’accompagnaient, pris dans un cercle étrange ; J’entrais dans la fumée de grands brasiers Je m’y recomposais, nouveau mélange. J’allais flottant, j’étais heureux d’errer, Indifférent, muet et solitaire Et j’écartais d’un geste mesuré Le fin ruban d’un rougeoiement, la terre. J’avais encore en moi comme un rebut De vie pour me tenir à l’identique Mais l’âme ne tendait que vers un but — Ne plus être âme et être corps physique. Des éléments flottaient sur l’étendue, Surfaces rêches dans surface lisse. Des ponts d’une amplitude jamais vue Avaient été jetés sur les abysses. Je vois les éléments originaux Qui traversaient l’espace à la dérive, — Réseaux de fermes, toiles des canaux, Tracés d’une structure primitive. Pas de raffinement dans le détail, Le maniérisme y semble sans usage Mais on n’y voit pas trace de travail Quoique tout bouge et tout soit à l’ouvrage. Dans le comportement de leur pouvoir Pas ombre de violence ou d’arbitraire ; Quoique sans peur moi-même et sans vouloir, Je faisais tout ce que j’avais à faire. Jamais je n’ai pensé à dire « non » Ni dire « oui » dans une ardeur factice.
J’aurais erré longtemps, et sans façon, Si mon errance avait rendu service. Un jeune gars flottait là par hasard, Il m’a parlé pendant une heure entière, Et même lui, pareil à un brouillard, Etait moins un esprit qu’une matière. Nous sommes arrivés à un étang. Il a lancé sa ligne, — un dernier reste De terre a fait surface et, dans l’instant, Lui, il l’a repoussé d’un simple geste.
Nikolay Zabolotsky,un rêve (1953) traduction André Markowicz