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Constatations sur le chemin

Publié le par Fred Pougeard

Ce qui est élégiaque, inévitable, qui domine comme l'azur dans les vitraux gothiques, non seulement par le fait d'être ici, mais encore par le lecteur qui n'est-pas-pour-rien-lecteur-de-poésie. Elementary mon cher Watson.
 
Derrière toute tristesse et toute nostalgie, je voudrais que ce même lecteur éprouve l'éclatement de la vie et la gratitude de quelqu'un qui l'a tellement aimée, comme ce que chantait Satchmo remplissant une mélodie banale de quelque chose que je peux simplement appeler communion :
 
I'm thankful
fo happy hours,
I'm thankful
for all the flowers —
 
Sentiment de participation sans lequel je n'aurais jamais rien écrit (il y a ceux qui n'écrivent que pour se séparer), participation qui participe à son tour à la bêtise et à la naïveté avec une fréquence très élevée, louées soient toutes les trois. Et ce dévouement franciscain à la découverte de la même chose et par conséquent toujours nouvelle, et cet enthousiasme que seul Onitsura fut capable de résumer dans un haïku qui paraîtra stupide aux stupides :
 
 
 
 
 
   
Fleurs de cerisier, plus
et plus aujourd'hui ! Les oiseaux ont deux pattes !
Ô et les chevaux quatre !
 
Onitsura, 1660-1738
Je traduis de la version anglaise 
de Harold G.Henderson
 
 
Julio CortázarSalvo el crepúsculo (1984) Crépuscule d'Automne. Traduit de l'espagnol (Argentine) par Silvia Baron Supervielle, Editions José Corti, collection ibérique 2010
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Post ludum

Publié le par Fred Pougeard

Rends-toi, poésie, aux chênes de garde, au plus haut point
et transmets-leur le salut d'un ami qui n'est plus rien.
Prie les oiseaux de se taire, ils m'ont rendu fou,
je fus de leur pépiement plus que soûl.

Passe cette nuit, poésie, voir mes proches dans leur sommeil,
embrasse-les sur le front, chuchotez un peu ensemble.
Dis-leur que j'ai fermé la dernière page du cahier
et gagné la compassion des pierres et des rochers.

À ma mère, poésie, dis de me pardonner,
je suis une mauvaise graine, de celles qu'il faut vomir ;
de toutes leurs larmes j'ai essoré ses yeux,
et cousu ses lèvres d'un fil de soupirs.

À mon frère, poésie, dis que je n'ai pas été l'ange qu'il a pu croire,
que mon coeur est châtiment, blâme et coups de fouet.
Les pensées cruelles et sauvages dont je fus le jouet
me valent un long sommeil crématoire.

À mes amoureuses, dis que je ne les ai pas aimées,
que je n'ai eu de goût que pour les échappées.
La vie fut pour moi comme un chapeau, comme un verre
où mélanger les dés du sort.

Au chat blond, s'il y peut comprendre goutte,
dis que sa paresse à la mienne ressemble toute.
Lumière dorée qui flânait au jardin, rare et nonchalant,
qu'il me pardonne, à moi qui ne fus qu'un ciel décadent.

Après quoi,
poésie,
ne reviens plus jamais ici,
ce couple que nous faisons n'est pas noble ;
notre alliance est rompue,
disparais, poésie, à jamais de ma vue.

*

Post ludum

Poezie, sa te duci la stejarii de straja in cel mai inaintat post
si spune-le dragi salutari de la unul care a fost.
Roaga paserile sa taca, m-au innebunit,
am ametit de atata ciripit.

poezie, sa treci noaptea prin somnul celor ai mei,
saruta-i pe frunte, discuta in soapta cu ei,
spune-le ca am incheiat din caiet ultima fila
si ca imi plang si pietrele de mila.

poezie, spune mamei sa ma ierte, sunt o poama rea,
pe care o arunca cine musca din ea;
lacrimi din ochi ca dintr-um burete i-am stors,
firul oftarii pe buze s-a tors.

poezie, spune fratelui meu ca n-am fost inger, cum poate credea,
ca mi-e inima pedeapsa, mustrare, nuia.
si de gandurile crude care m-au batut foarte salbatec
mi-e un somn de jaratec.

spune iubitelor mele: el nu v-a iubit,
el, zapacindu-va, s-a zapacit.
viata i-a fost ca un pahar
in care amesteci al intamplarii zar.

apoi,
sa nu te mai intorci, poezie!
nu facem o nobila pereche noi doi;
alianta noastra e sfarmata
si as vrea, poezie, sa nu te mai vad niciodata!

***

Emil Botta, Întunecatul abrilAvril sombre (1937), dans L'Aurore me trouvera les bras croisés. Traduit du roumain par Nicolas Cavaillès. Editions Hochroth 2013.

 

Merci au Blog Beauty will save the world (https://schabrieres.wordpress.com/2019/10/18/emil-botta-post-ludum/) pour cette découverte

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Via dei Cinquecento

Publié le par Fred Pougeard

Pèsent entre nous deux
trop de mots non dits
 
et la faim non assouvie,
les cris des enfants non apaisés,
la poitrine des mamans phtisiques
et l’odeur —
odeur de haillons, d’excréments, de morts —
s’insinuant à travers des couloirs sombres
 
ils sont une haie qui gémit au vent
entre moi et toi.
 
Mais dehors,
deux grands feux fixes sous des étoiles brumeuses
disent des vastes débouchés
et de l’eau
qui va vers la campagne ;
 
et chaque lame de lumière, chaque église
noire contre le ciel, chaque pas
de pauvres chaussures détruites
 
amène par des voies d’air
religieusement
moi à toi.
 
                             27 février 1938
 
Antonia Pozzi, Une Vie irrémédiable, poèmes, écrits. Edition établie par Matteo Mario Vecchio. Traduit de l'italien par Camilla Maria Cederna. Editions Laborintus 2019
 

 

 

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Le temps n'est qu'un noir sommeil...

Publié le par Fred Pougeard

Le temps n’est qu’un noir sommeil 

bienheureux qui sut garder 

les images de l’éveil.

 

Vallée blanche, mes hivers,

 bois pleins d’ombre, mes étés,

 belle vue des toits déserts,

 

jours d’automne, et je marchais

recueilli, seul, ignoré,

dans l’or pâle des forêts,

 

déjà moutonnait la mer

perfide des accidents,

petits flots, petits éclairs,

 

bien malin qui s’en défend.

 

Henri Thomas, Poésies. Gallimard 1970.

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