Mon bonheur, c'est d'avoir retrouvé le dessin, la maison, les arbres, le dos voûté, la ressemblance.
Quand à ce que j'écrivais, vous me tueriez, je ne pourrais pas vous le dire.
Aujourd'hui, j'écris qu'elle dessinait. J'ai perdu la force d'écrire autre chose. C'est un bonheur aussi.
Elle dessinait que j'écrivais. Je m'étais isolé pour écrire, la face au mur, et elle ne s'était pas isolée, elle m'embarrassait à me dessiner, la face à moi.
Je dirai d'abord que j'ai gardé le dessin, la maison, les arbres, le dos voûté.
Ce que j'écrivais, je ne pourrais plus le dire. J'ai perdu le texte.
J'écris qu'elle dessinait. Elle dessinait que j'écrivais.
La dessinatrice, je l'ai perdue. Je lui écris. Elle ne me dessine plus. Elle m'écrit.
Quelquefois je dessine son profil sur les marges des cahiers où j'écris que je l'ai perdue.
Elle a perdu la maison, les arbres. Elle ne m'a pas perdu, ou si peu.
À l'angle de la chambre de L
en face du Café du Cercle
les pompes à essence tiquetaquent
tout le temps si bien que parfois
se confondent avec les coups de l'heure
d'une horloge cachée
et je m'y perds exprès
puis je pars dans les forêts
à la main une photographie d'il y a cinq ans
et je cherche le site
que je ne trouve pas
les arbres ont grandi
La dessinatrice, je l'ai perdue. Elle m'a laissé son dessin bien sûr.
J'avais laissé le dessin, la maison, les arbres, je l'avais suivie, j'écrivais de moins en moins. C'était un bonheur.
Mais je l'ai perdue, je suis revenu, j'ai repris le dessin, la maison, les arbres. Une autre façon de la suivre.
J'écris de nouveau, face au même mur. Elle ne me désire plus, j'ai beau me retourner très vite, elle ne revient pas me dessiner. Ou bien alors, c'est qu'elle est plus rapide que moi.
Je lui écris. Elle m'écrit. Quelquefois, je dessine son profil dans les marges des cahiers où j'écris que je l'ai perdue. Ainsi la vie entière.
Qu'est-ce que j'écrivais ?
J'écris que tu dessinais,
Tu dessinais que j'écrivais.
J'ai gardé le dessin,
Le tiroir et le dos voûté
Et même la maison.
Les deux arbres.
Maintenant que seulement l'écriture,
guère de force.
Christian Dotremont, Un bonheur, projet de plaquette, poème et intertexte inédit, (Tervuren, Belgique, août 1961). Dans Œuvres poétiques complètes pp 364-366 Mercure de France 1998
As-tu trouvé des chimères ? Le marin que tu m'as envoyé m'a dit que tu étais imprudent. Cela m'a rassurée. Sois toujours très imprudent, mon petit, c'est la seule façon d'avoir un peu de plaisir à vivre dans notre époque de manufactures.
(...)
J'ai peur que tu ne fasses pas de folies. Cela n'empêche ni la gravité, ni la mélancolie, ni la solitude : ces trois gourmandises de ton caractère. Tu peux être grave et fou, qui empêche ? Tu peux être tout ce que tu veux et fou en surplus, mais il faut être fou, mon enfant. Regarde autour de toi le monde sans cesse grandissant de gens qui se prennent au sérieux. Outre qu'ils se donnent un ridicule irrémédiable devant les esprits semblables au mien, ils se font une vie dangereusement constipée. Ils sont exactement comme si, à la fois, ils se bourraient de tripes qui "relâchent" et de nèfles du japon qui "resserrent". Ils gonflent, gonflent, puis ils éclatent et ça sent mauvais pour tout le monde. Je n'ai pas trouvé d'images meilleures que celle-là. D'ailleurs, elle me plaît beaucoup. Il faudrait même y employer trois ou quatre mots de dialecte de façon à la rendre plus ordurière que ce qu'elle est en piémontais. Toi qui connais mon éloignement naturel pour tout ce qui est grossier, cette recherche te montre bien tout le danger que courent les gens qui se prennent au sérieux devant les jugements des esprits originaux. Ne sois jamais une mauvaise odeur pour tout un royaume, mon enfant. Promène-toi comme un jasmin au milieu de tous.
(...)
Jean Giono, Le Hussard sur le toit, Chapitre IX. Lettre de sa mère à Angelo Pardi. Editions Gallimard 1951.
photo : Denise Bellon, portrait de Jean Giono à son bureau, 1941
Il faudrait que je dise un jour
Comment j’ai changé d’opinion sur la poésie
Et pourquoi je me considère à présent
Pareil à l’un de ces artisans du Japon impérial
Qui composaient des vers sur les cerisiers en fleur,
Les chrysanthèmes et la pleine lune.
Si j’avais pu décrire comment les courtisanes vénitiennes
Avec un roseau taquinent un paon dans la cour
Et du brocart mordoré, des perles de leur ceinture,
Délivrent leurs seins lourds, si j’avais pu dépeindre
La trace rouge de la fermeture de la robe sur leur ventre
Tels que les voyait le timonier de la galère
Débarqué au matin avec son chargement d’or,
Et si, en même temps, j’avais pu trouver pour leurs os,
Au cimetière dont la mer huileuse lèche les portes,
Un mot les préservant mieux que l’unique peigne
Qui, dans la cendre sous une dalle, attend la lumière,
Alors je n’aurais jamais douté. De la matière friable
Que peut-on retenir ? Rien, si ce n’est la beauté.
Aussi doivent nous suffire les fleurs des cerisiers
Et les chrysanthèmes et la pleine lune.
*
Nie więcej
Powinienem powiedzieć kiedyś jak zmieniłem
Opinię o poezji i jak się stało, Że uważam się dzisaj za jednego z wielu
Kupców i rzemieślników Cestarstwa Japonii
Układających wiersze o kwitnieniu wiśni,
O chryzantemach i pełni księżyca.
Gdybym ja mógł weneckie kurtyzany
Opisać, jak w podwórzu witką drażnią pawia
I z tkaniny jedwabnej, z perłowej przepaski
Wyłuskać ociężąłe piersi, czerwonawą Pręgę na brzuchu od zapięcia sukni,
Tak przynajmniej jak widział szyper galeonów
Przybyłych tego ranka z ładunkiem złota;
I gdybym równocześnie mógł ich biedne kości
Na cmentarzu, gdzie bramę liże tłuste morze,
Zamknąc w słowie mocniejszym niż ostatni grzebień Który w próchnie pod płytą, sam, czeka na światło.
Tobym nie zwątpił. Z opornej materii
Co da się zebrać? Nic, najwyżej piękno.
A wtedy nam wystarczyć muszą kwiaty wiśni
I chryzantemy i pełnia księżyca.
Czesław Milosz,Poèmes 1934-1982, traduit du polonais par Constantin Jelenski. Luneau Ascot Editeur, 1984
Merci à l'excellent Stéphane Chabrières et son blog https://schabrieres.wordpress.com/2021/01/03/czeslaw-milosz-rien-de-plus/