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C'est ça l'amour

Publié le par Fred Pougeard

ordinaire au possible
on s'échine
perclus de soucis
on rit de ce qu'on peut
on pleure de ce qu'on doit
on se plaît
on se déteste sans trop savoir pourquoi
c'est ça l'amour
 
gamin on est frappé par son père et une fois marié on 
frappe sa femme
on fait croire qu'on est heureux dans la maison du 
malheur
et finalement on préfère rester seul dans son coin
on ne comprend pas tout et de loin
et l'on se suicide par ennui
c'est ça l'amour
 
on a des amis qui ne nous aiment pas
on prend des cours de télépilotage
on se fabrique une arme de rue avec du papier journal
et on aimerait être emporté par les oiseaux oh que oui
​​​​​​​on aimerait tant être emporté par les oiseaux
c'est ça l'amour
 
et les saisons se succèdent
et les générations se succèdent
et les obsessions se dissolvent
et les souvenirs se dissolvent
et certains animaux poussent des cris de bébé
tandis que certains fantômes font les soldes
​​​​​​​et les vieilles cicatrices expliquent ce que nous sommes
et de vieux politiciens le clament haut et fort
​​​​​​​qu'il n'y qu'un seul camp
le leur
c'est ça l'amour
 
le soleil visiblement nous en veut à mort et l'océan que
nous contemplons est un mausolée où flottent mille 
milliards de possibilités
et déjà la nuit arrive qui ne rafraîchit rien et déjà la nuit
arrive
d'une manière ou d'une autre il faut que tout cela se
finisse
c'est ça l'amour
 
 
ROSELIERES
 
Tous autant qu'ils sont
les animaux de l'étang sont des vœux exaucés et bam
il n'y a plus d'orgueil
il n'y a plus de drame
il n'y a plus de cris muets à lancer face au néant invincible
ni de lettres d'amour avec laquelle déclencher un départ
de feu
 
​​​​​​​le long des roselières et anciens marais salants la
lumière orange me remplit d'un langage secret
jamais souffle n'a été aussi paisiblement coupé tandis
que paisiblement tu t'assois sur mon visage
 
Heptanes Fraxion, Ni chagrin d'amour ni combat de reptiles, éditions Aux Cailloux des Chemins 2022
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Le Héros de la Manche

Publié le par Fred Pougeard

Frappe à la cuirasse de Don Quichotte
et demande : Es-tu encore là-dedans, mon vieux
est-ce qu'ils gardent la porte fermée la visière
baissée es-tu bien nourri pensent
-ils à ta race, ton rang, tes
exploits savent-ils qui tu es t'aiment-ils
autrement que pour la propagande n'es-
tu que vieilles provisions dans un placard qu'on
n'a pas le courage de forcer homme des moulins
culbuté jeté à terre
et ton écuyer exporté pour un cirque
peuvent-ils poser plus de questions sentir penser
trente ans après la paix
tombée à Barcelone tu es allé
au rendez-vous de Hendaye* et tu as passé en revue
le régiment d'honneur avec le père-commandant et
ses cousins allemands y a t-il des trous dans ta
cuirasse vieux Pierre de la suie sur les murs et
une ampoule nue dans ton œil des hénissements
et encore le rêve de Guadalrama
comme un écho écho écho de ton propre
rêve de grandeur égalité honneur justice et
amour chevauche sur les terres rouges
dans le soleil au-dessus de la colline
entre les oliviers gris jadis
cette fois et maintenant où d'autres moulins
tournent, sont assaillis, jettent leurs lances
tombent, regarde un cheval noir de jais
contre le soleil gitan, il y a des amis Don
Quichotte, reviens Don Quichotte
reste à la maison Don Quichotte
regarde ta cuirasse est une maison-rêve d'acier
et Sancho Pança attend au coin de la rue dans 
un bar, Mexico oubliée, volcans oubliés
il est là avec sa cerveza
et sa tapas, il est là, il attend.
 
LE MERLE
 
​​​​​​​Voilà que des mains rouillées ouvrent
les grilles de l'hôpital le sol
​​​​​​​de ciment gris est silencieux caoutchouté
​​​​​​​les vivants se taisent encore plus
​​​​​​​et respirent par des plaies de pierre
tandis que les aiguilles en fer de l'horloge
passent par-dessus leurs joues le charbon dévale
entre les maisons il pleut en dedans
​​​​​​​une bouffée médicamenteuse montante et descendante
est prisonnière derrière la gaze dans des tubes
tu dors dans les sous-sols aveugles attends derrière
un paravent une main sur le drap
​​​​​​​les doigts envolés calme humide et gris
alors grandit dans ton cœur le miroir comme question
l'écran radar d'un souvenir d'un
autre temps alors dans l'oreille du cœur l'écho martelé
un son arqué de visions
de parfums colorés en mineur entre des nuées 
alors l'aucun-bruit se tait tu t'éveilles
et tu l'as entendu.
 
Klaus Rifbjerg, traduit par François-Noël Simoneau (Le Héros de la Manche) et Monique Christiansen, dans Anthologie de la poésie danoise contemporaine, Editions Gallimard 1970
 
* entrevue entre Franco et Hitler du 23 octobre 1940
 
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Maintenant je veux blanches à nouveau

Publié le par Fred Pougeard

Maintenant je veux blanches à nouveau toutes mes lettres
inouï mon nom, ma grâce reployée : 
que je m'étende sur le cadran des jours,
reconduise la vie à minuit.
 
Et ma vallée rose d'oliviers,
et la ville enchevêtrée de mes amours,
qu'elles soient déployées comme une frêle paume,
ma paume où sont marquées toutes mes morts.
 
Ô Moyen-Orient marqué par sa voix,
je veux m'éveiller sur le chemin de Damas—
et n'avoir jamais levé les yeux vers un ciel
​​​​​​​autre que le sien, que tant de joie en croix.
 
*
 
Ora rivoglio bianche tutte le mie lettere,
inaudito il mio nome, la mia grazia richiusa ;
ch'io mi distenda sul quadrante dei giorni,
riconduca la vita a mezzanotte.
 
E la mia valle rosata dagli uliveti
e la città intricata dei miei amori
siano richiuse come breve palmo,
il mio palmo segnato da tutte le mie morti
 
O Medio Oriente disteso della sua voce,
voglio destarmi sulla via di Damasco—
né mai lo sguardo aver levato a un cielo
altro dal suo, da tanta gioia in croce.
 
Cristina Campo, Pas d'adieu dans Le Tigre absence, poèmes traduits et présentés par Monique Baccelli, Arfuyen 1996
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Œil de phoque

Publié le par Fred Pougeard

Te regarde. T'attire dangereusement près.
Comme l'abîme profond.
Comme l'eau sombre.
Te cerne
et t'observe
de la frontière du silence.
Te regarde. Te bois lentement
​​​​​​​jusqu'à ce que ton œil voie
ce que tranquillement
je vois.
M'enferme autour de toi.
Te métamorphose.
Et ne te lâche plus jamais.
 
Halfdan Rasmussen, traduit par Solange Rovsing Olsen, dans Anthologie de la poésie danoise contemporaine, Editions Gallimard 1970
 
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