Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Je sentis que c'était le Christ

Publié le par Fred Pougeard

52
 
     La moissonneuse se trouvait sur un petit coteau : mais on ne faisait que l'entendre : on ne la voyait pas parce qu'elle était cachée parmi des monceaux de paille. Les femmes et les bottes évoluaient dans un tourbillon de poussière ; comme dans un cercle qui se reformait toujours. Des charrettes chargées de gerbes à battre arrivaient du fin fond du domaine ; tandis que d'autres, emplies de sacs de blé, prenaient un autre chemin ; à travers la campagne toute jaune de chaumes, déserte.
     
     Quelques eucalyptus aux feuilles desséchées, presque jaunes, avec sur la partie basse de leur tronc, l'écorce toute décollée, soulevée en longues bandes ; des oiseaux volaient bas, où la route était bordée d'un semblant de haies ; et de l'autre côté de la palissade, de bois qui scintille, en arêtes tordues où la route fait un coude, un cheval mort ; et, à quelques pas, un groupe de poulettes et de dindons maigrelets becquetaient les graines tombées des épis. tandis que le ventre roussâtre du cheval semblait encore vivant. J'ai alors ressenti une grande douceur.
 
53
 
     C'est après avoir vu un crucifix abîmé par la rouille et la fumée, que j'ai cru pour la première fois. Il était presqu'informe et tout noir : on ne distinguait plus le corps du bois de la croix. Et d'ailleurs, la rouille en avait augmenté le volume ; et, bien que petit, j'en voyais le visage comme s'il avait été d'une grandeur naturelle. Lorsque la paysanne le détacha de la hotte du foyer, une poignée de poussière tomba sur sa bouche, sur ses yeux. Et elle dut le nettoyer avec un chiffon. Le tenant en main, je me dirigeai vers le seuil ; où il y avait davantage de lumière. La rouille formait une croûte d'un doigt d'épaisseur : à vouloir l'enlever, on en abîmait également le corps.
     On ne distinguait plus ses traits, mais le serrant, je sentis que c'était le Christ.
 
Federigo Tozzi, Les choses les gens. Traduction de l'italien de Philippe di Meo Editions La Baconnière 2019 
 
 
 
Partager cet article
Repost0

La jument grise

Publié le par Fred Pougeard

     
     Mère la jument grise a posé sa chemise. Il fera froid au bois du roi.
     Que de violettes j'ai cueillies dont le parfum est ma folie, que de violettes j'ai cueillies pour les offrir à mon amie.
     Le bois du roi s'est endormi. Le fils du roi vient-il ici ? La jument grise y lave sa chemise. Il fait bien froid au bois du roi. 
     Que de violettes sont flétries ! Mes doigts vont-ils geler aussi ? Bien longtemps, bien longtemps que j'attends mon amie.
     Mère la jument grise a changé de chemise. Comme il fait froid au bois du roi.
 
12 septembre 1969
 
FONTAINES DE CHIRRAZ
 
     Depuis quand n'ai-je pas senti l'odeur du thym ?
     Tandis que le tracteur remue la terre et que les feuilles des bouleaux font éclater leur gaine, des brumes lumineuses bleues animent les noces du ciel et du sol.
     Jamais je n'ai tant désiré m'étendre et contempler la résurrection des plantes.
     Fontaines de Chirraz ! Ô roses ! Inutiles et belles comme l'amour.
 
30 avril 1963
 
Marcela Delpastre, Les Disparates Editions dau chamin de Sent Jaume 2002
Partager cet article
Repost0