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La soif

Publié le par Fred Pougeard

la soif
 
et l'herbe    les fleurs
fanées    les arbres morts
les visages flétris
les regards pierreux
 
et sous un soleil
en furie
nul chemin
nul repère
tu vas quêtant
la jaillissante
fraîcheur de l'origine
 
Charles JulietL’Œil se scrute Fata Morgana 1976 repris dans Fouilles, suivi de L’Œil se scrute, Approches, Une lointaine lueur POL 1998
 
Photo : Jean-Luc Bertini
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Qu'il repose en révolte

Publié le par Fred Pougeard

Dans le noir, dans le soir sera sa mémoire
dans ce qui souffre, dans ce qui suinte
dans ce qui cherche et ne trouve pas
dans le chaland de débarquement qui crève sur la grève
dans le départ sifflant de la balle traceuse
dans l'île de soufre sera sa mémoire.
 
Dans celui qui a sa fièvre en soi, à qui n'importent les murs
dans celui qui s'élance et n'a de tête que contre les murs
dans le larron non repentant
dans le faible à jamais récalcitrant
dans le porche éventré sera sa mémoire.
 
Dans la route qui obsède
dans le cœur qui cherche sa plage
dans l'amant que le corps fuit
dans le voyageur que l'espace ronge
 
Dans le tunnel
dans le tourment tournant sur lui-même
dans l'impavide qui ose froisser le cimetière.
 
Dans l'orbite enflammée des astres qui se heurtent en éclatant
dans le vaisseau fantôme, dans la fiancée flétrie
dans la chanson crépusculaire sera sa mémoire.
 
Dans la présence de la mer
dans la distance du juge
dans la cécité
dans la tasse à poison.
 
Dans le capitaine des sept mers
dans l'âme de celui qui lave la dague
dans l'orgue en roseau qui pleure pour tout un peuple
dans le jour du crachat sur l'offrande.
 
Dans le fruit d'hiver
dans le poumon des batailles qui reprennent
dans le fou dans la chaloupe
 
Dans les bras tordus des désirs à jamais inassouvis sera sa mémoire.
 
Henri Michaux, La Vie dans les plis Gallimard 1949
 
​​​​​​​Illustration / Henri Michaux, Sans titre 1938-1939, gouache sur papier noir
 
 
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Ces images du premier matin...

Publié le par Fred Pougeard

Le voyage avait duré trois jours et avait été horrible. Les routes, les fameuses routes siciliennes à cause desquelles le prince de Satriano avait perdu la Lieutenance, n'étaient que de vagues traces toutes trouées et pleines de poussière. La première nuit à Marineo chez un ami notaire avait encore été supportable ; mais la deuxième dans une mauvaise auberge de Prizzi s'était passée péniblement, couchés à trois sur un même lit, menacés par une faune repoussante. La troisième à Bisacquino. Il n'y avait pas de punaises mais en revanche Don Fabrizio avait trouvé treize mouches dans son granité ; une lourde odeur d'excréments s'exhalait aussi bien des rues que de la "salle des pots de chambre" contiguë, ce qui avait suscité chez le Prince des rêves pénibles ; s'étant réveillé aux premières lueurs du jour, plongé dans la sueur et la puanteur, il n'avait pu s'empêcher de comparer ce voyage répugnant à sa propre vie, qui s'était d'abord déroulée dans des plaines riantes, avait grimpé ensuite sur des montagnes abruptes, s'était glissée à travers des gorges menaçantes pour déboucher enfin sur d'interminables ondulations d'une même couleur, aussi désertes que le désespoir. Ces images du premier matin étaient ce qu'il pouvait arriver de pire à un homme mûr ; et bien que Don Fabrizio sût qu'elles étaient destinées à s'évanouir avec l'activité du jour il en souffrait de façon aiguë parce qu'il avait désormais assez d'expérience pour savoir qu'elles laissaient au fond de l'âme un sédiment de deuil qui, s'accumulant jour après jour, finirait par être la véritable cause de sa mort.
 
Giuseppe Tomasi Di Lampedusa, Le Guépard (1958) deuxième partie. Traduit de l'Italien par Jean-Paul Manganaro Editions du Seuil 2007
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Moi aussi

Publié le par Fred Pougeard

Moi aussi suis
née en Arcadie
au lever du soleil
paisible dans le placenta
l'air un défi
pour le souffle
 
Pour moi aussi
sont éclos les doux mots maternels
Moi aussi j'ai grandi
parmi les légendes fantastiques
 
L'épouvante je l'ai éprouvée
moi aussi
quand des hommes
perdaient
leur face et leur place
 
Moi aussi j'ai perdu
mon  nom
parmi les sans-nom
 
Moi aussi 
j'ai interrogé le Néant
sur l'Être
 
j'interroge
et j'entends
tends
tends
la réponse 
de l'écho
 
RUINES
 
Qui connaît
le chemin de la carrière
atteindra les ruines
de l'Arcadie
 
Dans le marbre les fleurs éclosent
la grappe mûrit dans la pierre
 
Ton ombre se tient
droite comme un i
dans la colonnade du temple
 
Ne te fie pas au soleil à tête de Janus
 
Demain l'Arcadie sera
une ombre 
le chemin du retour
une carrière inaccessible
 
Rose Ausländer, Sans Visa (1974) dans Sans visa suivi de Tout peut servir de motif et autres proses, traduit de l'allemand par Eva Antonnikov Editions Héros-Limite 2012
 

 

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Dialogues

Publié le par Fred Pougeard

Comme la tombe sur les morts mon cœur est lourd,
La tombe sur les morts close avec de la pierre.
Mes yeux veulent toujours regarder en arrière.
Qu'ai-je donc égaré le long du temps qui court ?
 
— Va prier le soleil pour que mon champ prospère,
C'est ta dot qui mûrit dans nos blés.
                              — Oui mon père.
 
Depuis qu'on a fermé la porte sur ses pas,
La nappe du festin est à jamais pliée.
Je ne sais s'il m'a tout à fait oubliée,
Mais quand je le rencontre il ne me parle pas.
 
— Sommes-nous au couvent ? Cette robe sévère
Ôte-la. Mets ta robe à volants
                              — Oui ma mère.
 
J'ai mal... je ne sais pas où souffrir me conduit,
Et dans mon cœur j'entends un rossignol de flamme
Désespéré qui chante, chante à perdre l'âme.
Mais j'attends pour pleurer, comme j'attends la nuit !
 
— Sœur, la chanson d'amour que tu savais naguère,
Celle où passe un oiseau, chante-là...
                              — Oui mon frère.
 
Quand donc viendra la mort dont les pas font frémir 
Pour qu'enfin de l'aimer, enfin ! je me repose...
Il sera doux le jour où de la chambre close
On joindra les volets pour me laisser dormir.
 
— Sœur partons ! Serais-tu par hasard endormie ?
Le bal est commencé. Vite, allons !
                              — Oui ma mie.
 
1904
 
Marie Noël, Les Chansons et les heures Stock 1935 repris dans Les Chansons et les heures, Le Rosaire des joies Gallimard 1983
 
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