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Se réveiller en Europe

Publié le par Fred Pougeard

Rien n'a de nom à présent.
C'est curieux,
mais les lettres qui m'arrivent sont toutes apocryphes
et tous les mots sont anonymes.
 
Moi, si jeune, si fort,
si fleuve et jungle,
je traîne maintenant
des fatigues baptismales.
J'essaie en vain de reconnaître les rues.
Je cherche dans les livres esquintés une référence.
J'enquête sur de vieilles cryptographies
à la recherche de symboles perdus.
Mais rien n'a de nom à présent.
 
Parfois par habitude
je me tourne vers le jour
et je ne sais pas comment l'appeler.
Parfois aussi par habitude
je cherche l'abri de la musique
et des tempêtes d'étoiles.
Et je ne sais pas non plus comment les appeler.
C'est que rien n'a de nom à présent.
 
Dans certaines stations les appels se sont perdus.
Un étrange voyageur
a égaré ses valises
et la vie est devenue
anonyme et constante.
 
Les voix qui crachent leurs messages je les trouve lâches,
moi-même
je me trouve lâche
quand je recueille les signes
et les garde stupidement
pour les déchiffrer un jour.
 
Rien, rien n'a de nom à présent.
 
Un grand silence de cris et de pierres m'entoure.
Et je suis seul,
debout au milieu de l'aurore.
Rien, rien n'a de nom à présent.
 
Comment t'écrire alors une lettre ?
Comment te dire alors que je suis arrivé ?
 
Luis Sepulveda, Ballade de l'oreille coupée (1979-1986) dans La Graine ardente, Poésie complète 1967-2016. Traduit de l'espagnol (Chili) par Stéphane Chaumet. Points Poésie 2023
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