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La bête à la chaîne/Alien

Publié le par Fred Pougeard

J'ai vu une étrange bête, une bête perdue,
Fantastique, à la toison de feu,
 
Enchaînée à un anneau de boue,
Couchée, étrangère à tout.
 
Dans une malpropre arrière-cour,
J'ai vu cette chose atroce, et j'ai pleuré.
 
Et, par l'effet d'une loi sombre,
Jumelé à la bête, j'ai vu
 
Mon esprit étranger à moi-même, mon vouloir,
Chaque jour, doux et docile,
 
Chaque nuit, chaque nuit immense,
Rentrer dans cette maison de chair
 
Pour y obéir à de sinistres ordres,
pour porter la livrée de vieilles insultes et d'un vieux désespoir,
 
Et enfin se coucher, apprivoisé,
Attaché au poteau de boue.
 
*
 
I saw a strange lost beat,
Unearthly, fire-fleeced,
 
Chained to a muddy ring,
Lie down, an alien thing,
 
In a narrow yard unkept,
I saw this shame and wept.
 
And then, by some dark law,
Twin to the beast, I saw
 
My alien mind, my will,
Come each day meek and still,
 
Come each wide night afresh,
Home to the house of flesh,
 
To take grim ordres, wear
Old insult and despair,
 
And lie down tame at last,
To the muddly stake made fast.
 
Hortense Flexner, Poèmes, édition bilingue ; choix, traduction et présentation critique de Marguerite Yourcenar, Gallimard 1969
 
Image : 
Dear Miss Mclennan,
Thanks so much for the friendly review written the nice man in Chicago. He hasn’t exactly read ‘my past’, but he had read my book. So I shall never complain. It was awfully good of you to send it.”
Sincerely, 
Hortense Flexner King
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Le poème dessous

Publié le par Fred Pougeard

Voici qu'éclate un orage violent
Avec de merveilleux éclairs
Qui passent l'épouvante.
Et aussitôt, entre les dents serrées
Des gueules rugissantes de la nue,
Glissent la confidence et la douceur
Des eaux. Ruisselante passion.
Toi, la douleur, le chagrin et la peur
Tu dois les connaître et les vaincre ;
Ou les crever, ce sont des masques.
 
COMPLETUDE
 
Ecoute avec tes yeux
Les arpèges des hirondelles.
Comprends l'épure énigmatique.
Entends ce dessein de l'envol
Qui met plus de distance à la distance,
de silence au silence et plus de ciel
Dans ce qu'on voit du ciel.
Surprends aux pointes mélodiques
Les parfums de l'été. Maintenant.
A jamais. Ils sont à toi.
 
LA PEINE DE VIVRE
 
Ne reste pas impie
Devant ce qu'on t'avait donné,
Ce bref instant de vie
Mis entre deux étoiles
Et cette immensité.
Des étoiles, d'ici,
Qu'ont veut fixes et froides,
Mais qui sont dans la vérité
Les torches d'incendie
Des millénaires consumés.
 
Armel Guerne, Le Jardin colérique. Phébus 1977
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Le poète et la vie

Publié le par Fred Pougeard

   
      Celui qui a toujours affaire aux reflets sera peu enclin, dans le bien et le mal, à croire aux choses solides.
 
     Le réel n'est pas beaucoup plus que la fumée enflammée d'où les phénomènes doivent apparaître. Mais les phénomènes sont enfants de cette fumée.
 
     C'est la plus dangereuse des professions que celle qui s'occupe toujours de l'apparence de la chose morale. Elle conduit à se satisfaire de possibilités morales.
 
     La connaissance de la possibilité de représenter console en face de l'asservissement exercé par la vie. La connaissance de la vie console de ce que la représentation a le caractère d'une ombre. C'est ainsi que vie et représentation sont liées entre elles. La conscience de cela tirera vers le bas un artiste faiblement doué, elle poussera au sommet un artiste qui l'est fortement.
 
     Le poète conçoit toutes choses comme frères et enfants du même sang. Cependant cela ne le conduit à aucun désarroi. Il estime infiniment l'unicité de l'événement. Au-dessus de tout il place l'être isolé, le processus isolé car en chacun il admire la conjonction de mille fils qui arrivent des profondeurs de l'infini et ne se rencontreront nulle part de nouveau, jamais complètement ainsi. C'est là qu'il apprend à rendre justice à sa vie.
 
Hugo Von Hoffmannstahl, Le poète et la vie, publié en 1897 dans la revue de Stefan George, Feuillets pour l'art. Traduit de l'allemand par Albert Kohn, dans Lettre de Lord Chandos et autres textes, Editions Gallimard 1980 et 1992.
 
 
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Souvenirs de la maison des fous

Publié le par Fred Pougeard

extraits...
II
 
Petite et belle elle peut vivre sans miroir
Petite et belle elle peut vivre sans espoir
 
Les longs charrois de nuit et l'aube à petit feu
Ont dégradé son corps et dévasté son cœur 
 
Vivre toujours peut-être et patient je regarde
Le jour pâle épouser sans plaisir ses yeux vagues.
 
VII
 
J'ai pour la foudre chue un respect de vaincue
Mes os sont calcinés ma couronne est brisée
Je pleure et l'on en rit ma souffrance est souillée 
Et le mur du regret cerne mon existence
Peut-être aurais-je pu me masquer de beauté
Peut-être aurais-je pu cacher cette innocence
Qui fait peur aux enfants.
 
LE CIMETIERE DES FOUS
 
Ce cimetière enfanté par la lune
Entre deux vagues de ciel noir
Ce cimetière archipel de mémoire
Vit de vents fous et d'esprits en ruine
 
Trois cents tombeaux réglés de terre nue
Pour trois cents morts masqués de terre
Des croix sans nom corps du mystère
La terre éteinte et l'homme disparu
 
Les inconnus sont sortis de prison
Coiffés d'absence et déchaussés
N'ayant plus rien à espérer
Les inconnus sont morts dans la prison
 
Leur cimetière est un lieu sans raison.
 
Saint-Alban 1943
 
Paul Eluard, Souvenirs de la maison des fous,  Dessins de Gérard Vulliamy, Editions Pro Francia 1946, Seghers 2023
 
En novembre 1943, Paul Eluard trouve refuge en Lozère, à l'asile public de Saint Alban, où souffle, sous la conduite de François Tosquelles et Lucien Bonnafé, un vent d'humanisme. 
Eluard reste plusieurs mois caché parmi les aliénés. Cette expérience le bouleverse. Il en tire un long poème composé de sept portraits, paru en 1946, dans une édition avec les dessins de Vulliamy, son futur gendre, qui s'est rendu à Saint Alban en 1945 avec la fille du poète, Cécile.
Seghers vient de faire reparaître ce livre devenu introuvable.
 
​​​​​​​Images : dessin de Gérard Vulliamy, pour le portrait I
Nush et Paul Eluard, Saint Alban 1944 par Jacques Matarasso

 

 
 
 
 
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Arts invisibles

Publié le par Fred Pougeard

Toi qui chantes toutes mes morts
Toi qui chantes ce que tu ne livres pas
au sommeil du temps
décris-moi la maison vide,
parle-moi de ces morts habillés de cercueil
qui habitent mon innocence.
 
Avec toutes mes morts
je me remets à ma mort,
avec des poignées d'enfance,
avec des désirs ivres
qui n'ont pas marché sous le soleil,
et il n'y a pas une parole matinale
qui donne raison à la mort,
et pas un dieu où mourir sans grimaces
 
Alejandra Pizarnik, Les Aventures perdues, dans Œuvre poétique, traduit de l'espagnol (Argentine) par Silvia Baron Supervielle et Claude Couffon
 
 
 
 
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Il s'allonge sur la terre noire

Publié le par Fred Pougeard

Il s'allonge sur la terre noire
Et ce n'est pas mourir
 
Il reprend le dialogue avec la terre noire
Et la nuit des racines habituelles
 
Voici que des fleuves débouchent dans son sang
L'estuaire de nouveau promis.
 
Jean Fanchette, Identité provisoire (1965) dans L'île Equinoxe, préface de J.M.G. Le Clezio, postface de Michel Deguy. Editions Philippe Rey 2016
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Ceux qui ne veulent pas se laisser briser

Publié le par Fred Pougeard

   
           Cette nuit-là, à l'hôtel : notre chambre, le long corridor vide, nos souliers à la porte, un épais tapis sur le plancher de la chambre ; dehors, la pluie sur les vitres, et dans la chambre, une jolie lumière agréable et douce. Ensuite la lumière éteinte et la volupté et la douceur des draps et du lit confortable. Se sentir chez soi ; ne plus se sentir seul ; se réveiller au milieu de la nuit et la trouver à côté de soi, pas partie. Tout le reste semblait irréel. Nous dormions quand nous étions fatigués, et si l'un de nous se réveillait, l'autre se réveillait également ; ainsi nous ne nous sentions jamais seuls. Souvent un homme a besoin d'être seul, et une femme aussi a besoin d'être seule ; et s'ils s'aiment ils sont jaloux de constater ce sentiment mutuel ; mais je puis dire en toute sincérité que cela ne nous était jamais arrivé. Quand nous étions ensemble, il nous arrivait de nous sentir seuls, mais c'était seuls par rapport aux autres. Je n'ai ressenti cette impression qu'une fois. Je m'étais souvent senti seul avec bien des femmes, et c'est ainsi qu'on se sent le plus seul ; mais nous deux nous ne nous sentions jamais seuls, et nous n'avions jamais peur quand nous étions ensemble. Je sais que la nuit n'est pas semblable au jour, que les choses y sont différentes, que les choses de la nuit ne peuvent s'expliquer à la lumière du jour parce qu'elles n'existent plus alors ; et la nuit peut être effroyable pour les gens seuls, dès qu'ils ont pris conscience de leur solitude ; mais, avec Catherine, il n'y avait pour ainsi dire aucune différence entre le jour et la nuit, sinon que les nuits étaient encore meilleures que les jours. Quand les individus affrontent le monde avec tant de courage, le monde ne peut les briser qu'en les tuant. Et naturellement, il les tue. Le monde brise les individus, et, chez beaucoup, il se forme un cal à l'endroit de la fracture ; mais ceux qui ne veulent pas se laisser briser, alors ceux-là, le monde les tue. Il tue indifféremment les très bons et les très doux et les très braves. Si vous n'êtes pas parmi ceux-là, il vous tuera aussi mais en ce cas, il y mettra du temps.
 
Ernest Hemingway, L'Adieu aux armes. Traduit de l'américain par Maurice E.Coindrau. Editions Gallimard 1948
 
Photo : Hemingway à Milan, 1918
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Moi seul dans les années

Publié le par Fred Pougeard

J'étais nu et la lumière se souvenait
sur mon corps avec des audaces de mémoire
insensé que je fus de ne tuer ce corps
de croire en ces trop douces chairs et en ces larmes !
Mais quoi ! L'irréfutable cire de l'azur
gardait l'empreinte tiède encore de mes gestes
et les choses ruines partout de mon désir
projetaient leur futures ombres sur mon Ame
Ombre sertie de tombeaux et de soleils.
 
Quelle témérité d'oser même une fleur
même une ombre de fleur sur ces fleurs invisibles
je le savais. Pourtant mon sang avait osé
une rose de sang, la seule ! sur la cendre
cendre d'odeurs et pas venus de loin.
 
                          C'était
moi consumé dans l'or profond et la mémoire
mon sang épanoui d'adieu sur les déserts
gorgeait le vénéneux soleil de poisons tendres
leur suc avait tout envahi d'un lustre roux
et l'invisible même avait des seins d'automne.
 
Alors ô Elégie terrible tu montas
sur un accablement d'ombres inachevées
de bras épars et d'étouffante nudité,
tu montas gladiée comme une herbe, l'éclair
de ta présence approfondit le temps à naître
et fit luire le sang. Je fus nu, arrachant
l'ambiguë nudité qui me voilait ma honte
et respirant une orageuse nudité
 
C'étaient des plaines et des plaies instantanées
pays d'arbres croisant le fer et de nuages
je t'y vis nue harpe en délire qui troublais
le rythme de la mémoire et de la terre
je vis mûrir plus rapides que la pensée
d'ironiques moissons d'ivraie sur les famines
je vis les femmes adossées au souvenir
se défaire sous le fléau comme des gerbes
je vis crouler le tas de froment des armées
je vis dans les terres de sang l'acier germer
et toi criblée d'épis tu rendais fou les astres
ordonnateurs du sang des germes des nuées
 
Ton ombre était la mer et j'étais ton ombre
c'est pourquoi j'étais nu violemment contre dieu
ce dieu clair plus épineux que les ténèbres
en lequel je m'ouvrais un chemin vers l'enfer
​​​​​​​tandis qu'un noir recul de monts ou bien d'années
rejetait le futur en arrière, laissant
une étendue sans lieu à la place du sang
 
Je chantais. Et la lumière avec douceur
abandonnait les ombres et les formes
Je chantais. Et ma chair même se vidait
​​​​​​​du clair-obscur laissé par le sang en mes veines
Je chantais. Et les pleurs anciens se déchiraient
sur un étrange crépuscule de musique
l'Enfer.
 
Pierre Emmanuel, Tombeau d'Orphée Seghers 1967
 
Image Louis Henri Foreau, Orphée criant sa douleur, Musée de Valence
 
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Endroits, passages

Publié le par Fred Pougeard

I
 
Comme une aveugle elle sourit à toutes les chaises vides,
autour d'elle les gens les retirent et s'inclinent.
 
Sa bouche remue, elle s'écoute avec ses lèvres,
et devant elle il y a des cartes postales vierges.
 
Elle courbe la tête, comme une tête courbée
sous des reproches et dans ses cheveux
 
sa main écrit : mon amour, je vis encore, je t'écris
et je pense encore à toi, et c'est bête de ma part.
 
II
 
Nous avions fermé portes et fenêtres,
nous ne voulions ni les rapines ni le régime
des parasites et horlogers. Nos secrets
c'étaient notre Maison et le Temps Immobile.
 
(M., tu vivais dans mon cœur comme un singe
esseulé dans sa cage. À bien le voir ton visage
était dans un état, un état : une pomme oubliée
qu'on retrouve ridée en hiver.
 
Amour devient maladie, s'il ne meurt pas
malgré l'oubli, perdre ce qui reste quand même,
là où pendait la photo, c'est ça la maladie.
 
Mais l'amour, M., c'était moi. Ma façon
d'attendre presque assoupi sur le Voyage
au bout de la nuit. Je t'attendais, mais
tu ne venais pas, tu ne venais pas.)
 
Nous avions dans notre Maison un espace, des moments
qui ne s'écoulaient pas, ils étaient à nous
et nous rêvions de ne plus nous réveiller,
mais de guérir, sans savoir de quoi.
 
III
 
Il n'y a plus de misère parmi les hommes,
bière et rigolade jusqu'en pleine nuit.
Le chagrin c'est pour les héros tragiques, voilà.
 
Non, il y a un bonheur immense de nos jours,
on a oublié les classiques morbides, les idylles
secrètes de Hermans, Lermontov, Céline.
 
"Nous avions des amis qui nous ont trahis,
nous avions des amants qui nous ont haïs,
nous avons au corps un feu glacé."
 
Voilà tout le drame : personne ne revient
de la nuit. Nos rêves le cèderont
aux faits, jamais l'inverse, jamais l'inverse.
 
(...)
 
Rutger Kopland, Un endroit vide (extraits) (1975) dans Songer à partir, poèmes, traduit du néerlandais par Paul Gellings. Introduction de Jean Grosjean. Gallimard "Du monde entier" 1986
 
Photo : Rutger Kopland en 2004, par Jean-Paul Iska
 
 
 
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Le mystère

Publié le par Fred Pougeard

Retenant le soleil, surgissant des feuillages,
Le mur fleurit, mais oui : le vieux mur qui oublie
Les siècles de son âge et devient un instant
Sous quelle main ? cette tartine de splendeur,
Ce pain beurré d'une lumière d'outre-temps
Dont le parfum survient, évident et secret
Comme un miracle est inconnu jusqu'à son heure.
Et l'on apprend ici que cette âme de l'âme
Nous parle de si près sa langue souveraine
Qu'elle est comme une haleine où nous sommes les mots.
 
Armel Guerne, Le Poids vivant de la parole Fédérop 2007, réunissant Au bout du temps, Solaire-Fédérop 1981, Le Poids vivant de la parole Fédérop 1983 et des poèmes inédits.
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