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Chansonnette optimiste/Optimistisches Liedchen

Publié le par Fred Pougeard

Il arrive de temps en temps
que quelqu'un crie au secours.
Déjà quelqu'un d'autre se jette à l'eau
sans en attendre aucun retour.
 
Au milieu du plus épais capitalisme
les pompiers rutilants tournent
la rue, éteignent le feu, ou le chapeau
du mendiant soudain brille d'un éclat d'argent.
 
Le matin, les rues fourmillent
de gens qui sans couteau tiré
s'empressent, çà, là, le cœur serein,
cherchant du lait et des radis.
 
Comme dans la paix la plus profonde.
 
C'est magnifique à voir.
 
 
*
 
Hie und da kommt es vor,
daß einer um Hilfe schreit.
Schon springt ein andrer ins Wasser,
vollkommen kostenlos.
Mitten im dicksten Kapitalismus
kommt die schimmernde Feuerwehr
um die Ecke und löscht, oder im Hut
des Bettlers silbert es plötzlich.
Vormittags wimmelt es auf den Straßen
von Personen, die ohne gezücktes Messer
hin- und herlaufen, seelenruhig,
auf der Suche nach Milch und Radieschen.
Wie im tiefsten Frieden. 
Ein herrlicher Anblick
Hans Magnus Enzensberger, Leichter als Luft, Suhrkamp Verlag, Frankfurt am Main 1999, traduction inédite de Lionel Edouard Martin.
 
https://lionel-edouard-martin.net/2022/11/26/hans-magnus-enzensberger-1929-2022-chansonnette-optimiste-optimistisches-liedchen/
crédit photo : Pressphoto Lancia PN
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La réponse/La responsa

Publié le par Fred Pougeard

   
 Alors vous m'appellerez.
 
     Comme la mère appuyée à la barrière appelle son fils dans le pré,
     vous m'appellerez du fond du cœur, avec votre voix claire, parmi les bois, dont l'écho résonne de val en val.
 
    Vous m'appellerez — comme la mère appelle son fils qui fauche entre les haies l'herbe tendre et la centaurée.
     Comme la mère appelle son fils, parce que la soupe est trempée et les crêpes chaudes —ainsi vous m'appellerez.
 
     Vous m'appellerez. Mais moi, que répondre ? 
 
      À la soif de ton cœur, quelle eau verserai-je ? À la faim de tes dents, quel pain présenterai-je ?
 
     Il y aura longtemps, alors, que je dormirai sous la pierre morte, longtemps que sera sèche la source de mon sang,
     et longtemps que ma voix aura glacé mes lèvres, et ma langue derrière ses palissades.
 
     Alors vous m'appellerez !
 
     Et moi, comment répondre ? —C'est pourquoi dès maintenant je vais répondre. Je dirai ce qui se dit, du fond du cœur, à qui m'appelle.
     Ce que l'on sait  —la douleur et la peur, l'amour et l'éclair, le soleil sur les moissons, la grande nuit couchée.
 
​​​​​​​     Certainement vous m'appellerez.
 
​​​​​​​      Et moi c'est maintenant que je réponds. Comme le fils parle à sa mère, en fauchant le pré.
      Et comme il lui répond sans entendre l'appel, quand il s'assied près de la source, sur le foin parfumé.
 
     Qu'il lui répond de toute sa pensée.
 
     Et du fond de la chair comme le fils parle à sa mère, de tout son poids.
 
*
 
     'Laidonc me cridaretz.
 
     Coma la mair se ten' poiada  a la charrau e crida son filh en lo prat,
     me cridaretz dau fons dau còr, emb la votz clara entre los bòscs, que s'aove lo resano de combada en combada.
 
     Me cridaretz. Mas peu, que vos respondre ?
 
     A la set de ton còr, quala aiga vojarai ?A la fam de tas dents, de quau pan portarai ?
 
     'Laidonc, i aura dau temps que dormirai entre la peira mòrta, et dau temps que mon sang sera sec dins la font,
     et dau temps que ma votz aura gialat ma pòta, e ma lenga darrier sos palencs.
 
     'Laidonc me cridaretz !
 
     E ieu, coma respondre ? —Mas aura respondrai. Dirai ço que se ditz, dau fons dau còr, a qui me crida.
     Ço que se sap —la dolor et la paur, l'amor e l'esluciada, e lo solehl sus las meissons, la granda nuech coijada. 
 
     Segur me cridaretz.
 
     E ieu quo es aura que responde. Coma lo filh parla a sa mair, en sejar dins la prada.
     E coma li répond sens auvir sa cridada, quand s'asseta a l'aras de la font, sus l'erra perfumada.
 
     E li respond de tota sa pensada.
 
     E dau fons de la charn coma lo filh parla a sa mair de tota sa pesada.
 
Marcela Delpastre, Paraulas per questa terra, Paroles pour cette terre, tome II. Editions dau Chamin de sent jaume, 1997
 
Photographie : Charles Camberocque.
 
Petite série, pour le 25e anniversaire de la disparition de Marcelle Delpastre.
Pour commander les livres de Marcelle Delpastre, votre libraire doit appeler ici M. Jan Dau Melhau :
Edicions dau Chamin de Sent Jaume
Roier / Royer
87380 Meusac / Meuzac
Tél. 05 55 09 96 61
 
 
 
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XC

Publié le par Fred Pougeard

Then hate me when thou wilt ; if ever, now ;
Now, while the world is bent my deeds to cross,
Join with the spite of fortune, make me bow,
And do not drop in for an after-loss.
Ah, do not, when my heart hath'scaped this sorrow,
Come in the rearward of a conquer'd woe ;
Give not a windy night a rainy morrow,
To linger out a purpose overthrow.
If thou wilt leave me, do not leave me last,
When other petty griefs have done their spite,
But in the onset come : so shall I taste
At first the very worst of fortune's might ;
                    And other strains of woe, which now seem woe,
                    Compar'd with loss of thee will not seem so.
 
*
 
Hais-moi donc. S'il le faut, hais-moi dès à présent,
A présent que le monde entier me fait la guerre ;
Joins-toi, pour m'accabler, à mon destin méchant,
Ne sois pas le héraut d'une ultime misère.
 
Ne viens pas dans mon cœur, vainqueur de son chagrin,
Comme une arrière-garde à ce mal qui s'efface ;
ne donne à nuit venteuse un pluvieux matin
En venant m'achever d'un sournois coup de grâce.
 
Si tu veux me quitter, que ce ne soit pas trop tard,
Quand de petits chagrins m'auront fait leur injure.
Monte au premier assaut, pour que dès le départ,
Fortune m'ait touché de sa pire blessure ;
 
                   Et maint autre malheur ou malheur prétendu 
                    Ne me sera plus rien, quand je t'aurai perdu.
 
William Shakespeare, Sonnets, traduits par Jean Malaplate. Editions L'âge d'homme 1992
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Brême éternité

Publié le par Fred Pougeard

Un jour on est une racaille à soupirs et à plaintes
un jour danseur hilare on crève le temps
aujourd'hui j'ai le cœur serré par cette fille de Brême
haute et pâle aux cheveux noirs d'ivoire
venue m'écouter lointaine mais visage offert
et si belle que j'ai détourné les yeux pour fuir
son regard gris de mer velouté par les cils
 
elle penchait légère au bord de l'instant
je lui ai dit merci pour goûter à sa voix
grenat et doucement penser à elle nue
pâleur éblouissante et la toison ténèbre
 
elle est debout dans mon allure elle marche avec moi
la promenade am Wall a goût d'octobre
est-ce qu'on se reverra dans cette vie
wenn aus der Ferne da wir geschieden sind
moi mon invitée l'absente qui me cherche
car pour l'autre vie je l'y pose en souffrance
debout dans une brève éternité de mots
où elle est cette lenteur en moi qui fait silence
 
Ludovic Janvier, inédit dans Orphée Studio, Poésie d'aujourd'hui à voix haute, Gallimard 1999
 
 
 
 
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Le soir/Lo ser

Publié le par Fred Pougeard

     
     Quand j'ai fini de labourer le champ, je m'arrête un peu —ainsi faisait mon grand-père— et je m'assieds un moment sur la motte retournée.
     Bonne terre douce à toucher, fraîche comme le bord de l'eau, combien de fois ai-je mesuré mon corps de chair à ton grand corps, plus tendre que le pain, plus dur que la terre gelée ?
 
     Voici venu le soir ; la large mer du ciel, avec ses grains d'étoiles commence à s'en aller vers le jour qui vient, 
     commence à marcher comme un champ de seigle vert, la fleur dans l'épi, quand le vent de midi souffle dans le soleil.
 
     Tu en as porté des seigles, bonne terre légère, fraîche comme une fontaine ; tu en as donné des moissons de joie et de travail dans le chaud de l'été.
     Tu en as mûri, en vérité, de la vie, qui monte par la sève son eau salée depuis les profondes racines et s'en va dans le sang de notre âme éternelle. 
 
     Viendra le soir de tous les soirs. Et le ciel s'en ira, avec ses grains d'étoiles, tel un champ de seigle vert aux semences nouvelles.
     Puissé-je, alors, puissé-je me coucher au fond du sillon, dans la terre retournée, fraîche comme un arbre vivant dans sa sève salée.
 
    Alors, terre douce à toucher, terre de bonne odeur, je te rendrai ce peu de sang que tu m'as donné, ma vie pauvre, et la parole qui me tenait le corps et l'âme ensemble.
​​​​​​​     Alors, terre ma mère, mûris mes moissons, fais germer ma parole ! Et ma vie pauvre de ce temps, fais-en le champ qui va d'un bord du ciel à l'autre. 
 
     En espérance ainsi, je console mon cœur, même si je n'y crois guère... 
 
*
 
     Quand ai'chabat de laborar lo champ, m'aplante un pauc —aitau fasia mon grand— e m'assete un moment sus la gleva virada.
​​​​​​​     Bonne terra mofla; frescha coma la broa de l'aiga, quantben de còps ai mesurât mon còrs de charn a ton grand còrs, pus tendre que lo pan, pus dur que la peira gialada ?
 
     Veiqui vengut lo ser ; la larja mar dau ciau, emb sos gruns d'estialas comença de se'n nar d'aiciant' au jorn que ven,
​​​​​​​     comença de marchar, tala un champ de blat verd, la flor dins l'espija, quand lo vent de miegjorn bufa dins lo solelh. 
 
​​​​​​​     Ne'n as portat dags blats, bona terra leugiera, frescha coma 'na font, ne'n as menat, de las meissons de jòia e de trabalh, dins la chalor d'estiu.
​​​​​​​     Tu ne'n as madurat, segur de la vita, que monta per la saba son aiga salada, dempuei las raiç priondas e se'n vai dins lo sang de nòstra arma eternala.
 
     Vendra lo ser de tots los sers. E lo ciau se'n nira, emb sos gruns d'estialas tal un champ de blat verd per lo semen noveu.
     Poguesse-ieu, laidonc, poguesse-ieu m'estendre au fons de la reja, dins la terra virada, coma l'aubre viu frescha en sa saba salada. 
 
     Laidonc, terra mofla, terra de bona odor, te tornarai queu pauc de sang que m'as balhat, ma vita paura, e la paraula que me tenia lo còrs et l'arma tot ensemble.
     Laidonc, terra ma mair, madura mas meissons, erminia ma paraula ! E ma paubra vita d'aqueu temps, fai-ne'n lo chip que vai d'un biais dau ciau a l'autre !
 
     Aitau me conòrte lo còr, zo creiguesse-ieu gaire...
 
Marcela Delpastre, La lenga que tant me platz, la langue qui tant me plaît, (août 1963), publié par la revue Lemozi en avril 1964, repris dans D'una Lenga l'autra (D'une langue l'autre). Edicions dau chamin de sent Jaume 2001
 
Petite série, pour le 25e anniversaire de la disparition de Marcelle Delpastre.
Pour commander les livres de Marcelle Delpastre, votre libraire doit appeler ici M. Jan Dauu Melhau :
Edicions dau Chamin de Sent-Jaume
Roier / Royer
87380 Meusac / Meuzac
Tél. 05 55 09 96 61
 
 
     
 
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La journée

Publié le par Fred Pougeard

     
     La journée d'aujourd'hui est amère —comme le chanvre et comme le chemin.
     Comme les cailloux ronds  qui roulent sous les eaux, qui ne vont nulle part, qui sont là quand l'eau passe.
     Et la journée d'hier fut vaine — comme le chanvre et comme le chemin.
     Gloire des blonds épis ! qui mûrissent pour être cueillis, et que l'on vanne, et que l'on sème.
     N'avons-nous pas rêvé d'une rose éternelle ? 
     Si la flamme demeure encore un peu de temps, cependant l'heure vient qu'elle doit être éteinte,
     et si la vie perdure un peu de temps. —Mais gloire de la rose, dont le charme est d'avoir été,
     si peu que son parfum perdure. Et gloire de cette journée, pâle et froide, comme le chanvre et le chemin.
     Gloire d'hier, la journée morte ! Des cailloux ronds, qui roulent sous les eaux, qui sont là quand l'eau passe. 
     Et gloire de la vie, et gloire de la mort !
 
15 février 1967
 
Marcelle Delpastre, La chasseur d'ombres et autres psaumes (1960-1969), éditions dau chamin de sent jaume 2002
 
Aujourd'hui, cela fait vingt-cinq ans que Marcelle Delpastre vogue "dans le désert de Dieu". En tapant son nom sur le moteur de recherche de ce blog, vous trouverez de nombreux poèmes d'elle. 
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Pardès

Publié le par Fred Pougeard

Au premier niveau il y a l'amour
Littéralement : je t'aime
Au deuxième : le manque
Sens allusif
Agressif
Émotif
Sollicité : 
Le sens caché de Tes silences
Au quatrième niveau il y a l'absence
Le sens secret
D'un être essentialisé
D'un amour sans commentaire
Ésotérique
Érotique
Métaphysique
Liturgique
Mon paradis
 
Karine Tuil, Kaddish pour un amour Editions Gallimard 2023
 
* Pardès qui signifie littéralement "jardin" "verger" en hébreu, s'apparente au mot "paradis". 
Il est l'acrostiche des 4 techniques interprétatives de la Bible : Pschat (sens littéral), Remez (sens allégorique), Drash (sens recherché) et Sod (sens secret)

 

 
 

 

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Nous ne voulons pas être tristes

Publié le par Fred Pougeard

Nous ne voulons pas être tristes
C'est trop facile
C'est trop bête
C'est trop commode
On en a trop souvent l'occasion
C'est pas malin
Tout le monde est triste
Nous ne voulons plus être tristes
 
Blaise Cendrars, Feuilles de route, Au sans Pareil 1924
 
Image : Henri Matisse, Le bonheur de vivre 1905-1906, Fondation Barnes, Philadelphie
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Ni renard, ni croûton, ni patates

Publié le par Fred Pougeard

Il n'est pas là le vieux soleil,
Aussi absent que quand on dort.
 
​​​​​​​Le champ a froid. Les feuilles sont sèches.
Mal est ultime en cette lumière.
 
Dans cet air morne les tiges brisées
Ont des bras sans mains. Ont des troncs
 
Sans jambes ou, pour cela, sans têtes.
Ont des têtes où un cri captif
 
Est le simple mouvement d'une langue.
La neige pétille comme une vision tombant
 
Du ciel, comme la vision de claires disparitions.
Les feuilles sautillent, griffent le sol.
 
C'est grand janvier. Le ciel est rude.
Les tiges dans la glace ont leurs fermes racines.
 
Là, dans cette solitude, une syllabe,
Hors de ces gauches palpitations,
 
Entonne son vide singulier,
Le rien le plus féroce des bruits d'hiver.
 
Là, dans ce mal, nous connaissons
Le bien dans la suprême pureté.
 
Le corbeau rouillé prend son vol
Son œil brille de méchanceté....
 
On vient le voir ici pour se distraire,
mais à distance, sur un autre arbre.
 
Wallace Stevens, Transport vers l'été. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Alexandre Prieux. Editions Nous 2020.
 
 
 

 

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Retrouver mon visage

Publié le par Fred Pougeard

j'aimerais bien retrouver mon visage
il s'est perdu dans le malheur des foules
un soir que j'étais distrait comme un singe
égaré par les phases de la lune
 
un soir que je détroussais la momie
d'une amoureuse il y a cinq mille ans
un soir que j'étais infidèle et vil
et que je prétendais tuer le temps
 
qui me rendra seulement mon visage
et me dira que je suis pardonné
je ne connaîtrai jamais qui se venge
en me privant de ce qu'il m'a donné
 
Jean-Claude Pirotte Cette âme perdue, Le Castor Astral 2011
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