Seïkilos (1er siècle avant JC) Epitaphe. Stèle découverte à Tralles, Asie mineure, avec composition instrumentale et vocale. Musée National de Copenhague.
Le grand ciel que je voyais en éventail gris de Goya s'éployer hier au soir au-dessus de la plaine du Poitou, il est fait aujourd'hui de festons et de bourrelets. Deux hommes armés de fusil écoutent leurs chiens de chasse brailler loin et par intermittence dans l'épais des bois. Comme je prends par le travers, le lièvre qu'ils poursuivent coupe le layon, et dans le houx j'aperçois le retroussis blanc de sa queue alors que les roitelets tout autour égrènent de frêles épis dans l'ultime clarté.
Des fenêtres trouent l'ouest.
Mer et forêt se mélangent.
Des arpents de nuit
S'affaissent sur nous.
Forêt de Chizé, mercredi 28 octobre 1981
Robert Marteau, Forestières, Editions Métailié 1990
au rendez-vous de Hendaye* et tu as passé en revue
le régiment d'honneur avec le père-commandant et
ses cousins allemands y a t-il des trous dans ta
cuirasse vieux Pierre de la suie sur les murs et
une ampoule nue dans ton œil des hénissements
et encore le rêve de Guadalrama
comme un écho écho écho de ton propre
rêve de grandeur égalité honneur justice et
amour chevauche sur les terres rouges
dans le soleil au-dessus de la colline
entre les oliviers gris jadis
cette fois et maintenant où d'autres moulins
tournent, sont assaillis, jettent leurs lances
tombent, regarde un cheval noir de jais
contre le soleil gitan, il y a des amis Don
Quichotte, reviens Don Quichotte
reste à la maison Don Quichotte
regarde ta cuirasse est une maison-rêve d'acier
et Sancho Pança attend au coin de la rue dans
un bar, Mexico oubliée, volcans oubliés
il est là avec sa cerveza
et sa tapas, il est là, il attend.
LE MERLE
Voilà que des mains rouillées ouvrent
les grilles de l'hôpital le sol
de ciment gris est silencieux caoutchouté
les vivants se taisent encore plus
et respirent par des plaies de pierre
tandis que les aiguilles en fer de l'horloge
passent par-dessus leurs joues le charbon dévale
entre les maisons il pleut en dedans
une bouffée médicamenteuse montante et descendante
est prisonnière derrière la gaze dans des tubes
tu dors dans les sous-sols aveugles attends derrière
un paravent une main sur le drap
les doigts envolés calme humide et gris
alors grandit dans ton cœur le miroir comme question
l'écran radar d'un souvenir d'un
autre temps alors dans l'oreille du cœur l'écho martelé
un son arqué de visions
de parfums colorés en mineur entre des nuées
alors l'aucun-bruit se tait tu t'éveilles
et tu l'as entendu.
Klaus Rifbjerg, traduit par François-Noël Simoneau (Le Héros de la Manche) et Monique Christiansen, dans Anthologie de la poésie danoise contemporaine, Editions Gallimard 1970
* entrevue entre Franco et Hitler du 23 octobre 1940
jetaient leurs noms français dans le silence et la
touffeur un peu salée d'un Sud aimant le soir
les mousses laissaient traîner
leurs voiles fantomatiques de veuves disparues
dentelles de la mort des pauvres de l'exil
ici avaient régné l'abandon le viol et le carnage
la fièvre avait jauni des yeux lassés d'attendre
et maintenant la douceur de province oubliée
s'emplissait à sept heures d'une folie d'oiseaux
d'un essaim d'ailes et de chants qui tournait sur la ville
il fit chaud et musical in Louisiana
les aréoles noires et les chairs roses depuis longtemps avaient
mêlé
la fureur de leurs feux dans leurs couches confuses
et ce parfum de sueur sur la chaleur des choses
alors parmi
l'exacte vérité des secondes et des fleurs excessives
on pensait dans le ciel rouge à la vanité des combats
quels qu'ils soient tandis
que le regard des vieux noirs s'emparaient de vos yeux
au fond de vos querelles dans l'immobilité.
Jean Pérol,Histoire contemporaine, poèmes 1977-1981 Editions Gallimard 1982
Photo anonyme : petit cimetière rural non identifié, peut-être dans la baie de Barataria, sud est de la Louisiane (Source : Louisiana Digital Library)