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Epitaphe

Publié le par Fred Pougeard

La pierre que je suis est une image
 
Seïkilos m'a placée ici
 
Signe éternel d'un souvenir immortel
 
Tant que tu vis, brille !
 
Ne t'afflige d'absolument rien
 
La vie dure si peu
 
C'est le temps qui décide de la fin
 
Seïkilos (1er siècle avant JC) Epitaphe. Stèle découverte à Tralles, Asie mineure, avec composition instrumentale et vocale. Musée National de Copenhague. 
 
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Assez pour faire un feu

Publié le par Fred Pougeard

Temple de montagne
Résonne au fond de la neige
le son d'une cloche
 
Yamadera Ya
yuki no soko naru
kane no koe
(1790)
 
Mes amis sous les fleurs
jusqu'à ce que je les revoie
combien de printemps
 
Hana no tomo ni
mata au made wa
ikuharu ya
(1791)
 
Alors qu'au hasard
portais mes pas une flaque
fut mon chemin d'errance
 
Oboro oboro
fumera mizu nari
mayoimichi
(1797)
 
Au bruit du tonnerre
a répondu de son cri
un faisan des champs
 
Kamirani ni
nakiawasetaru
​​​​​​​kiwikana
(1804)
 
Cailles margottez donc
de ma hutte si je vous gêne
je plierai bagage
 
Nake uzura
jama nara io mo
tatamubeki
(1804)
 
En soleil couchant
aux yeux d'une grenouille aussi
un voile de larmes
 
Iriai wa
kawazu no me ni mo
numida kana
(1805)
 
Froidure du matin
le crapaud lui-même en fait
gros yeux comme les plats
 
Asa samu ya
hiki no mawako wo
sara ni shite
(1805)
 
Aux monts de l'automne
pour se dire encore en vie
frappe-t-on la cloche ?
 
Aki no yama
​​​​​​​ikite iru tote
utsu kane ka
(1805)
 
En pauvre demeure
pour la nuit sont fraîches aussi
lanternes de pierre
 
Abaraya mo
yoru wa suzushiki
toro kana
(1805)
 
Petites châtaignes
parmi quelles pisse un cheval
en toute beauté
 
Shibaguri ya
uma no bari shite
utsukushiki
(1806)
 
Cloche au son de glace
sur la colline dans mon dos
quand me suis couché
 
Kane koru
yama wo ushiro ni
netarikeri
(1806)
 
Monde de rosée
ni plus ni moins que rosée
toutes ces disputes
 
Tsuyu no yo
tsuyu nu naka nite
kenka kana
(1810)
 
Sous pluie de printemps
passe avec un gros bâillement
​​​​​​​une jolie femme
 
Harusame ni
oakubi suru
bikini kana
(1811)
 
Las, tant suis vieilli
que d'une calebasse et de moi
l'ombre ne diffère
 
Oitari na
fukube to ware ga
kageboshi
(1812)
 
Tant me suis langui
de ces cerisiers en fleurs
et m'y retrouve seul
 
Machimachishi
sakura to naredo
​​​​​​​histori kana
(1813)
 
Je n'ai rien à moi
mais quelle quiétude dans le cœur
mais quelle fraîcheur
 
Nani mo nai ga
kokoroyasusa yo
suzushisa yo
(1813)
 
Rosée se dissipe
comme si de ce monde sordide
n'avait rien à faire
 
​​​​​​​Tsuyu chiru ya
​​​​​​​musai kono yo ni
yo nashi to
(1813)
 
Tant suis triste et seul
par-dessous les feuilles mortes
demeurent mes ancêtres
 
Sabishisa ya
ochiba ga shita no
senzotachi
(1813)
 
Du babil des hommes
semblent enfin soulagés
cerisiers au soir
 
Hitogoe ni
​​​​​​​hotto shita yara
yuzakura
(1814)
 
Assez pour faire un feu
au vent me sont apportées
quelques feuilles mortes
 
​​​​​​​Taku hodo wa
kaze ga kuretaru
ochiba kana
(1815)
 
Ma pauvre cabane
où prend une peine inutile
la rosée qui tombe
 
Abaraya ya
mudabone orite
tsuyu no oku
(1816)
 
Longues pluies d'été
un bâton d'encens dressé
ma boîte à tabac
 
Samidare ya
senko tateshi
tabakobon
(1818) 
 
Au crépuscule tombé
un épouvantail et moi
seuls l'un avec l'autre
 
Yugureshi ya
kagashi to ware to
tada futari
(1818)
 
Des nuits qui sont courtes
à l'âge de me réjouir
en suis arrivé
 
Mijikayo wo
​​​​​​​yorokobu rossi no
narinikeri
(1819)
 
Le seigneur Bouddha
dessus le bout de son nez
bombardier péteur
 
Mihotoke no
hana no saki nite
hehirimushi
(1820)
 
Ondes de chaleur
et toujours hante mon regard
un visage souriant
 
Kagero ya
me ni tsukimatou
waraigao
(1821)
 
Dedans les latrines
s'évanouit sur la lampe à huile
une poudre de neige
 
Setchin to
senakaawase ya
fuyugomori
(1821)
 
Calme et immobile
Laisse un cheval la humer
une grenouille
 
Jitto shite
uma ni kagaruru
kawazu kana
(1825)
 
Kobayashi Issa, En village de miséreux, choix de poèmes, traduit du japonais par Jean Cholley, Editions Gallimard, Connaissance de l'Orient 1996
 
Image : Rouleau calligraphié de l'auteur
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 

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Le grand ciel que je voyais

Publié le par Fred Pougeard

Le grand ciel que je voyais en éventail gris de Goya s'éployer hier au soir au-dessus de la plaine du Poitou, il est fait aujourd'hui de festons et de bourrelets. Deux hommes armés de fusil écoutent leurs chiens de chasse brailler loin et par intermittence dans l'épais des bois. Comme je prends par le travers, le lièvre qu'ils poursuivent coupe le layon, et dans le houx j'aperçois le retroussis blanc de sa queue alors que les roitelets tout autour égrènent de frêles épis dans l'ultime clarté.

Des fenêtres trouent l'ouest.

Mer et forêt se mélangent.

Des arpents de nuit

S'affaissent sur nous.

 

Forêt de Chizé, mercredi 28 octobre 1981

 

Robert Marteau, Forestières, Editions Métailié 1990

 

 

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C'est ça l'amour

Publié le par Fred Pougeard

ordinaire au possible
on s'échine
perclus de soucis
on rit de ce qu'on peut
on pleure de ce qu'on doit
on se plaît
on se déteste sans trop savoir pourquoi
c'est ça l'amour
 
gamin on est frappé par son père et une fois marié on 
frappe sa femme
on fait croire qu'on est heureux dans la maison du 
malheur
et finalement on préfère rester seul dans son coin
on ne comprend pas tout et de loin
et l'on se suicide par ennui
c'est ça l'amour
 
on a des amis qui ne nous aiment pas
on prend des cours de télépilotage
on se fabrique une arme de rue avec du papier journal
et on aimerait être emporté par les oiseaux oh que oui
​​​​​​​on aimerait tant être emporté par les oiseaux
c'est ça l'amour
 
et les saisons se succèdent
et les générations se succèdent
et les obsessions se dissolvent
et les souvenirs se dissolvent
et certains animaux poussent des cris de bébé
tandis que certains fantômes font les soldes
​​​​​​​et les vieilles cicatrices expliquent ce que nous sommes
et de vieux politiciens le clament haut et fort
​​​​​​​qu'il n'y qu'un seul camp
le leur
c'est ça l'amour
 
le soleil visiblement nous en veut à mort et l'océan que
nous contemplons est un mausolée où flottent mille 
milliards de possibilités
et déjà la nuit arrive qui ne rafraîchit rien et déjà la nuit
arrive
d'une manière ou d'une autre il faut que tout cela se
finisse
c'est ça l'amour
 
 
ROSELIERES
 
Tous autant qu'ils sont
les animaux de l'étang sont des vœux exaucés et bam
il n'y a plus d'orgueil
il n'y a plus de drame
il n'y a plus de cris muets à lancer face au néant invincible
ni de lettres d'amour avec laquelle déclencher un départ
de feu
 
​​​​​​​le long des roselières et anciens marais salants la
lumière orange me remplit d'un langage secret
jamais souffle n'a été aussi paisiblement coupé tandis
que paisiblement tu t'assois sur mon visage
 
Heptanes Fraxion, Ni chagrin d'amour ni combat de reptiles, éditions Aux Cailloux des Chemins 2022
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Le Héros de la Manche

Publié le par Fred Pougeard

Frappe à la cuirasse de Don Quichotte
et demande : Es-tu encore là-dedans, mon vieux
est-ce qu'ils gardent la porte fermée la visière
baissée es-tu bien nourri pensent
-ils à ta race, ton rang, tes
exploits savent-ils qui tu es t'aiment-ils
autrement que pour la propagande n'es-
tu que vieilles provisions dans un placard qu'on
n'a pas le courage de forcer homme des moulins
culbuté jeté à terre
et ton écuyer exporté pour un cirque
peuvent-ils poser plus de questions sentir penser
trente ans après la paix
tombée à Barcelone tu es allé
au rendez-vous de Hendaye* et tu as passé en revue
le régiment d'honneur avec le père-commandant et
ses cousins allemands y a t-il des trous dans ta
cuirasse vieux Pierre de la suie sur les murs et
une ampoule nue dans ton œil des hénissements
et encore le rêve de Guadalrama
comme un écho écho écho de ton propre
rêve de grandeur égalité honneur justice et
amour chevauche sur les terres rouges
dans le soleil au-dessus de la colline
entre les oliviers gris jadis
cette fois et maintenant où d'autres moulins
tournent, sont assaillis, jettent leurs lances
tombent, regarde un cheval noir de jais
contre le soleil gitan, il y a des amis Don
Quichotte, reviens Don Quichotte
reste à la maison Don Quichotte
regarde ta cuirasse est une maison-rêve d'acier
et Sancho Pança attend au coin de la rue dans 
un bar, Mexico oubliée, volcans oubliés
il est là avec sa cerveza
et sa tapas, il est là, il attend.
 
LE MERLE
 
​​​​​​​Voilà que des mains rouillées ouvrent
les grilles de l'hôpital le sol
​​​​​​​de ciment gris est silencieux caoutchouté
​​​​​​​les vivants se taisent encore plus
​​​​​​​et respirent par des plaies de pierre
tandis que les aiguilles en fer de l'horloge
passent par-dessus leurs joues le charbon dévale
entre les maisons il pleut en dedans
​​​​​​​une bouffée médicamenteuse montante et descendante
est prisonnière derrière la gaze dans des tubes
tu dors dans les sous-sols aveugles attends derrière
un paravent une main sur le drap
​​​​​​​les doigts envolés calme humide et gris
alors grandit dans ton cœur le miroir comme question
l'écran radar d'un souvenir d'un
autre temps alors dans l'oreille du cœur l'écho martelé
un son arqué de visions
de parfums colorés en mineur entre des nuées 
alors l'aucun-bruit se tait tu t'éveilles
et tu l'as entendu.
 
Klaus Rifbjerg, traduit par François-Noël Simoneau (Le Héros de la Manche) et Monique Christiansen, dans Anthologie de la poésie danoise contemporaine, Editions Gallimard 1970
 
* entrevue entre Franco et Hitler du 23 octobre 1940
 
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Maintenant je veux blanches à nouveau

Publié le par Fred Pougeard

Maintenant je veux blanches à nouveau toutes mes lettres
inouï mon nom, ma grâce reployée : 
que je m'étende sur le cadran des jours,
reconduise la vie à minuit.
 
Et ma vallée rose d'oliviers,
et la ville enchevêtrée de mes amours,
qu'elles soient déployées comme une frêle paume,
ma paume où sont marquées toutes mes morts.
 
Ô Moyen-Orient marqué par sa voix,
je veux m'éveiller sur le chemin de Damas—
et n'avoir jamais levé les yeux vers un ciel
​​​​​​​autre que le sien, que tant de joie en croix.
 
*
 
Ora rivoglio bianche tutte le mie lettere,
inaudito il mio nome, la mia grazia richiusa ;
ch'io mi distenda sul quadrante dei giorni,
riconduca la vita a mezzanotte.
 
E la mia valle rosata dagli uliveti
e la città intricata dei miei amori
siano richiuse come breve palmo,
il mio palmo segnato da tutte le mie morti
 
O Medio Oriente disteso della sua voce,
voglio destarmi sulla via di Damasco—
né mai lo sguardo aver levato a un cielo
altro dal suo, da tanta gioia in croce.
 
Cristina Campo, Pas d'adieu dans Le Tigre absence, poèmes traduits et présentés par Monique Baccelli, Arfuyen 1996
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Œil de phoque

Publié le par Fred Pougeard

Te regarde. T'attire dangereusement près.
Comme l'abîme profond.
Comme l'eau sombre.
Te cerne
et t'observe
de la frontière du silence.
Te regarde. Te bois lentement
​​​​​​​jusqu'à ce que ton œil voie
ce que tranquillement
je vois.
M'enferme autour de toi.
Te métamorphose.
Et ne te lâche plus jamais.
 
Halfdan Rasmussen, traduit par Solange Rovsing Olsen, dans Anthologie de la poésie danoise contemporaine, Editions Gallimard 1970
 
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Dans l'immobilité

Publié le par Fred Pougeard

Les tombes disloquées le long des haies taillées
jetaient leurs noms français dans le silence et la
touffeur un peu salée d'un Sud aimant le soir
les mousses laissaient traîner
leurs voiles fantomatiques de veuves disparues
dentelles de la mort des pauvres de l'exil
ici avaient régné l'abandon le viol et le carnage
la fièvre avait jauni des yeux lassés d'attendre
et maintenant la douceur de province oubliée
s'emplissait à sept heures d'une folie d'oiseaux
d'un essaim d'ailes et de chants qui tournait sur la ville
​​​​​​​il fit chaud et musical in Louisiana
les aréoles noires et les chairs roses depuis longtemps avaient
                                                                                           mêlé
la fureur de leurs feux dans leurs couches confuses
et ce parfum de sueur sur la chaleur des choses
alors parmi
l'exacte vérité des secondes et des fleurs excessives
on pensait dans le ciel rouge à la vanité des combats
quels qu'ils soient tandis
que le regard des vieux noirs s'emparaient de vos yeux
​​​​​​​au fond de vos querelles dans l'immobilité.
 
Jean Pérol, Histoire contemporaine, poèmes 1977-1981 Editions Gallimard 1982
 
​​​​​​​Photo anonyme : petit cimetière rural non identifié, peut-être  dans la baie de Barataria, sud est de la Louisiane (Source : Louisiana Digital Library)
 
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Dans l'herbe à l'aurore

Publié le par Fred Pougeard

 
Dans l'herbe à l'aurore un coq blanc
rougit comme la neige sur les monts inanimés.
Sur le lit blanc, je tressaille et de mes mains
inconnues, je touche mon visage.
 
Une femme chante, une voix de petite fille
suspendue dans l'azur.
 
*
 
Nell'erba dell'aurora arde un bianco
gallo come neve sui monti inanimati.
Sul bianco letto trasalgo e con le mie mani,
ignote, mi tocco il viso.
 
Una donna, con voce di bambina,
canta, sospesa nell'azzurra aria.
 
Pier Paolo Pasolini, Dal diario (1945-1947). Je suis vivant. Traduit de l'italien par Olivier Apert et Ivan Messac. Nous 2022
 
 
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Péniche aux gravats

Publié le par Fred Pougeard

Heure d'eau, la péniche aux gravats
nous emporte vers le soir, nous n'avons
comme elle, pas de hâte, un Pourquoi
mort se tient à la poupe.
 
........................................
 
Allégé. Le poumon, la méduse
se gonfle en cloche, une brune
excroissance d'âme atteint
le Non respiré clair.
 
SCHUTTKAHN
 
Wasserstunde, der Schuttkahn
fährt uns zu Abend, wir haben
wie er, keine Eile, ein totes
Warum steht am Heck.
 
.......................................
 
Geleichtert. Die Lunge, die Qualle
bläht sich zur Glocke, ein brauner
Seelenfortsatz erreicht
des hellgeatmete Nein.
 
Paul Celan, Grille de parole, Sprachgitter (1959) traduit de l'allemand par Martine Broda, Christian Bourgois éditeur 1991
 
 
 
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