À Esaïe
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que déjà Son futur sommet s'inquiète : des nuages fratricides y
tourbillonnent et foudroient les oiseaux dans leur courant.
Entre-temps nous vivons dans les crevasses : il y fait sombre et froid,
nos cœurs nous réchauffent peu, petits, engorgés, mais forts,
— les bêtes sauvages ! nous harcèlent. Nous tenons le coup :
aux joailliers on confisque leur or et aux indigents leurs chaînes.
Sur la rive vide, les bateaux de Tarse apportent inlassablement
statues et épées, perruques rousses, harpes et tentes,
arches d'aqueducs orphelines et perroquets exotiques,
captifs du désert et mouches des delta de la crasse.
Puis ils rembarquent leur cargo et partent, visionnaires du mensonge :
les marins de Tarse.
Et nous ? Ici, sous terre,
nus, nous attendons dans les crevasses qu'on nous transporte là où
déjà les oiseaux tuent leurs frères, et où les nuages en déroute tourbillonnent !
Jour de récompense ! Au sommet Ta Demeure nous aveuglera de blancheur.
Et nos commerces s'y enrichiront, et sous la colonnade se tiendra
une prostituée orientale aux yeux provocants,
qui toisera les entrants les passants leurs cœurs clignotants
rabougris comme escarcelle vide.
Paris, mai 1962
Aleksander Wat, Les quatre murs de ma souffrance, traduit du polonais par Alice-Catherine Carls, Orphée La différence 2013