Dédicace à personne

attendre, pour piétiner, pour se morfondre, comme au présent.
Une suite de jours dispersée, déchirée, entre l'insomnie et le songe.
Une vie qui n'appartient à personne, pas même à moi.
Une route qui ne conduit nulle part ailleurs qu'en ce point où tout se
dissipe et disparaît. (Est-ce la récompense ?)
Au vertige vécu. À l'immobile. Au retour sans fin.
À la suite irrémédiable, peinte aux couleurs de l'espoir. Aux portes
fermées de la sagesse. (Elles tremblent, elles vont céder.)
À la conscience maintenue, arc-boutée contre le souffle de l'abîme.
Puissent la suie, la poussière, le sang des heures, la colère du monde,
l'oubli de tout—ne pas ternir le miroir !
À toutes les personnes que nous sommes et ne seront plus. À tous les
temps du verbe.
Jean Tardieu, Da Capo, Gallimard 1995