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Piccolo Testamento/Petit Testament

Publié le par Fred Pougeard

Cette lueur qui veille la nuit
dans la calotte de ma pensée,
trace nacrée de limace
ou poussière de verre écrasé,
n'est pas lampe d'église ou d'usine
qu'alimente
rouge ou noir, un clerc.
Moi je ne peux te laisser
que l'irisé en témoignage
d'une foi qui fut combattue,
d'une espérance qui brûla, plus lente
qu'une souche dure dans l'âtre.
Conserves-en la poudre dans ton miroir
quand, toute lampe éteinte,
la sardane deviendra infernale
et qu'un Lucifer ténébreux descendra sur une proue
de la Tamise, de l'Hudson, de la Seine,
en secouant ses ailes de bitume à moitié
brisées de fatigue, pour te dire : il est l'heure.
Ce n'est pas un héritage, ni un porte-bonheur
pouvant résister au choc des moussons
sur le fil d'aragne de la mémoire,
mais une histoire ne dure que dans la cendre
et seul s'éteindre est persister. 
Le signal était juste : qui l'a perçu
ne pourra manquer de te retrouver.
Chacun reconnaîtra les siens : l'orgueil
n'était pas fuite, ni l'humilité
veulerie, l'éclair tenu craqué là-bas
n'était pas celui d'une allumette.
 
12 mai 1953
 
Eugenio Montale, La Tourmente et autres textes (1939-1954), 1ere édition 1956 dans Poèmes choisis (1916-1980), édition de Patrice Dyerval Angelini, Gallimard 1991
 
Photo : Eugenio Montale, 1956 copyright Archivio Farabola
 
 
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Un Souffle à peine

Publié le par Fred Pougeard

Au cœur même d'une passerose
le souffle à peine
du jardinier
Bien fragile
ce peu de chose
qui ressuscite par la bouche
le monde multiple
où se couchent
les chiens sauvages
de nos étés...
 
Hôpital Saint Joseph, 7 juin 1986, 9h
 
DE VINS MAUVES ET DOUX
 
Qui m'a repris l'enfance
qui m'a jetée debout
dans ce monde vertical
dans ce peuple de fous ?...
Je voulais être grande
pour me mettre à genoux
sous la tuile des combles
où dorment les chemins
creusés de souvenirs...
 
Qui m'a forcée à dire
des mots serrés en grappes
au vide de la bouche
qu'on lance 
et qu'on rattrape
pour mieux s'en resservir ?...
Des mots
toujours des mots
à ne savoir que faire
de leur banalité...
 
Qui m'a forcée à taire
l'escale des couteaux
dans les herbes foraines
où tournaient les chevaux
à l'intention de l'œil ?...
Je voulais être grande
j'ai appris à user
le cal de mes genoux
sur la terre bafouée
rêvant de graminées
aux gestes puérils
des vins mauves et doux...
 
Hôpital Saint Joseph, 26 juillet 1986
 
Simone Added Sauvageot, L'Œil en dérive, poèmes Maison Rhodanienne de Poésie, 1986
 
Livre trouvé ce jour au Cafégem, rue Passe-Demoiselle, à Reims
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Loin d'ici —près d'ailleurs

Publié le par Fred Pougeard

(Ermitage de la Martinière,2)
 
En dédicace à Orthaire, l'ermite de Malloué
 
Je suis ici. Le monde et la durée,
déjà bien vieux, m'entourent
ils m'attendaient depuis longtemps
 
la lune et le soleil
le ciel et ses étoiles
font de grands cercles autour de moi
 
les frondaisons s'inclinent
les mésanges pépient
je décide de rester un peu.
 
*
 
L'aube est venue
mais non la lumière
 
puis midi
mais non la chaleur
 
puis le soir 
mais non le repos
 
Clarté d'étoile de la nuit !
Couvé au cœur chaud de la nuit !
Paix, paix obscure de la nuit !
 
*
 
Tout ce que je vois 
fait lumière à mes yeux
— astre-monde !
 
Tout ce que j'entends 
me chante dans l'oreille
— musique d'être !
 
Tout ce que je touche
M'éveille à la matière
— divin divers !
 
*
 
En chaque goutte de rosée
s'évaporent
un minuscule soleil matinal
 
et un moi miniature contemplant
plein d'espoir
ce beau jour qui commence
 
Un bouvreuil s'égosille
le prunier est en fleur
Qu'aurais-je à regretter ?
 
*
 
Equinoxe :
la terre se retourne
pour prendre le soleil
 
Vives eaux :
la mer s'étire
pour attraper la lune
 
Minuit :
je sors de chez moi
et rêve aux étoiles.
 
*
 
Entré ce jour dans ma phase mortelle
j'entreprends de dé-vivre :
 
oublier les souvenirs
perdre, offrir ou détruire
les vagues possessions
borner les horizons
 
n'être plus que présent
le plus intensément
ici même à l'instant.
 
*
 
Bâtir ici ma demeure natale
sur les ruines de mon tombeau
 
cheviller un berceau
du bois de mon cercueil
me langer d'un linceul
 
sur un dernier soupir
commencer à parler
 
m'être laissé mourir
et me réenfanter.
 
*
 
Hommage à Bashô
 
Ma cabane n'a pas de clef
car elle n'a pas de porte
 
Elle n'a pas de fenêtres
Parce qu'elle est sans murs
 
N'ayant pas de toit
elle ne fait aucune ombre
 
L'air y est toujours frais
la lumière y est prodigieuse
et elle n'a pas de clef.
 
*
 
Je suis le vieil ermite
Ni route ni sentier
ne mènent où j'habite
 
Je vis seul avec moi
Qui me rendrait visite
qu'il prenne par les bois
 
En moi le monde est mort
Si les loups le dévorent
je saurai bien pourquoi.
 
Daniel de Bruycker, Neuvaines 1 à 3, poésie. maestrÖm reEvolution 2015
 
 
 
 
 
 
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