Loin d'ici —près d'ailleurs

Publié le par Fred Pougeard

(Ermitage de la Martinière,2)
 
En dédicace à Orthaire, l'ermite de Malloué
 
Je suis ici. Le monde et la durée,
déjà bien vieux, m'entourent
ils m'attendaient depuis longtemps
 
la lune et le soleil
le ciel et ses étoiles
font de grands cercles autour de moi
 
les frondaisons s'inclinent
les mésanges pépient
je décide de rester un peu.
 
*
 
L'aube est venue
mais non la lumière
 
puis midi
mais non la chaleur
 
puis le soir 
mais non le repos
 
Clarté d'étoile de la nuit !
Couvé au cœur chaud de la nuit !
Paix, paix obscure de la nuit !
 
*
 
Tout ce que je vois 
fait lumière à mes yeux
— astre-monde !
 
Tout ce que j'entends 
me chante dans l'oreille
— musique d'être !
 
Tout ce que je touche
M'éveille à la matière
— divin divers !
 
*
 
En chaque goutte de rosée
s'évaporent
un minuscule soleil matinal
 
et un moi miniature contemplant
plein d'espoir
ce beau jour qui commence
 
Un bouvreuil s'égosille
le prunier est en fleur
Qu'aurais-je à regretter ?
 
*
 
Equinoxe :
la terre se retourne
pour prendre le soleil
 
Vives eaux :
la mer s'étire
pour attraper la lune
 
Minuit :
je sors de chez moi
et rêve aux étoiles.
 
*
 
Entré ce jour dans ma phase mortelle
j'entreprends de dé-vivre :
 
oublier les souvenirs
perdre, offrir ou détruire
les vagues possessions
borner les horizons
 
n'être plus que présent
le plus intensément
ici même à l'instant.
 
*
 
Bâtir ici ma demeure natale
sur les ruines de mon tombeau
 
cheviller un berceau
du bois de mon cercueil
me langer d'un linceul
 
sur un dernier soupir
commencer à parler
 
m'être laissé mourir
et me réenfanter.
 
*
 
Hommage à Bashô
 
Ma cabane n'a pas de clef
car elle n'a pas de porte
 
Elle n'a pas de fenêtres
Parce qu'elle est sans murs
 
N'ayant pas de toit
elle ne fait aucune ombre
 
L'air y est toujours frais
la lumière y est prodigieuse
et elle n'a pas de clef.
 
*
 
Je suis le vieil ermite
Ni route ni sentier
ne mènent où j'habite
 
Je vis seul avec moi
Qui me rendrait visite
qu'il prenne par les bois
 
En moi le monde est mort
Si les loups le dévorent
je saurai bien pourquoi.
 
Daniel de Bruycker, Neuvaines 1 à 3, poésie. maestrÖm reEvolution 2015
 
 
 
 
 
 
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :