les Tartares ne mettent sur leur tombe qu'une pierre
pas même taillée, sans inscription.
Pourquoi écrire un nom où l'homme n'est plus ?
Pour nous ? Croyez-vous donc, disent-ils, que nous puissions l'oublier ?
Pour Dieu ? Dieu le connaît de toute éternité.
Ces sages ignorent ainsi l'administration
et son avantageux petit commerce des concessions trentenaires
et le plaisir bourgeois de s'offrir un caveau monumental
plus cher
qu'un destin de pauvre ou qu'une maison de prolétaire.
Victor Serge, Résistances, Cahiers Les Humbles, 11 et 12 (1938) puis Editions François Maspero 1972 (sous le titre Pour un brasier dans un désert) puis Editions Heros-Limite 2016
Je "concentre" le Journal. J'en suis aux notes sur ma traversée de l'Amérique en 1959. Au départ, cent cinquante feuillets compacts tapés à la machine. Trente feuillets aérés après "concentration". Je crois que "tout" y est contenu, qu'il ne manque rien. C'est ce qu'il y a de plus difficile dans mon métier : ce n'est pas "couper", effacer, "extraire", c'est "concentrer". Ecrire, ce n'est pas difficile... (...) En fin de compte, il faut travailler comme un sculpteur qui taille "ce qui est utile" dans le marbre pour qu'il ne reste que la statue. Quant au poème, c'est l'essence de la concentration. Un poème n'est authentique que lorsqu'il est concentré, comme la bombe atomique.
1966
Sándor Márai, Journal, les années d'exil 1949-1967, page 528. Traduit du hongrois par Catherine Fay. Editions Albin Michel 2021
Juan Gelman, Cela (Paris 1983-84) dans Vers le sud et autres poèmes. traduit de l'espagnol (Argentine) par Jacques Ancet, Postface de Julio Cortazar Editions Gallimard 2014