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Chant d'amour et de mort pour l'amant noir

Publié le par Fred Pougeard

À Rodwell
 
Encore une fois je veux boire avec toi la coupe de l'amour
M'étourdir et m'égarer dans la puissance divine,
Encore une fois titubante et tremblante me noyer dans cette profonde nuit
Et avec des ailes repliées sombrer dans l'abîme.
Avec toi échapper deux fois à la peur vague de la mort,
et rencontrer le regard fixe des Dieux dans la pierre sombre
Éclaircir le sang comme du feu dans le cœur palpitant du temps.
Bien-aimé, t'emporter de la source à la fin de l'existence terrestre
Dans le cri de la vague écumante, dans l'ivresse du rêve.
Encore une fois je veux monter vers toi hors de l'âme endormie,
Arbre et racine en même temps, reconnue et parée
Dans la clarté chantante des oiseaux.
Ta tête est soleil et lune émergente,
Et flotte, couronne allumée, au bord silencieux du Néant.
Encore une fois je veux accomplir en moi le bleu mystère
Et m'empoisonner en toi d'une amère liqueur d'Au-delà,
Et ne réclamer aucun réveil de l'ivresse de cet AMOUR mortel.
 
Écrit le soir pendant un orage, juillet 1963
 
 
*
 
An Rodwell gewidnet
 
Noch einmal will ich mit Dir von Becher der Liebe trinken
Und mich in der göttlichen Wacht betäuben und verwirren,
noch einmal schwankend und zitternd in tiefer Nacht ertrinken
Und mit gefallenen Flügeln dem Abgrund entgegenstürzen.
Mit Dir in dumpfer Angst des Todes zweimal entrinnen,
Dem starren Blick der Götter begegnen in dunklen Stein
Und Blut zu Feuer erhellen in pochen den Herz der Zeit.
Geliebter, Dich zur Quelle und Ende des irdischen Seins
Im Schrei der wogenden Welle mitreissen, in trunkenen Traum.
Noch einmal will ich zu Dir aus schlafender Seele steigen,
Baum und Wurzel zugleich, von Vögeln in singender Klarheit
Erkannt und geschmückt.
Dein Haupt ist Sonne und werdender Mond,
Und schwebt, erleuchtende Krone, am schweigenden Hand des Nichts.
Noch einmal will ich in mir dans blaue Geheimnis erfüllen
Und mich in Dir vergiften an bitteren Jenseits getränk,
Und kein Erwachen verlangen von Bausch der tödlichen LIEBE.
 
Am Abend während eines Gewitters geschrieben Juli 1963
 
Grisélidis Réal, Chair vive, poésies complètes Editions Seghers 2022
 
Photo Suzi Pilet
 
 
 
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En ce temps-là...

Publié le par Fred Pougeard

En ce temps-là, Jésus dit à ses disciples :
"Vous êtes des pommes de terre, je vous changerai en frites."
 
Épatés qu'ils furent
Par la procédure,
Mais comme Jésus c'était Dieu
Difficile de trouver mieux !
 
Se donnant la main
Ils allaient par les chemins
En ne fabriquant plus rien.
 
Saint Pierre était le plus fort.
Un peu marseillais sur les bords
Hâbleur
Persifleur
Moi je ceci moi je cela
On a vu le résultat !
 
Jacques et André
Les fils de Zébédée
​​​​​​​Ne connaissaient même pas l'a,b,c,d.
En ce temps-là, comme l'école n'était pas obligatoire
​​​​​​​Qu'on ne savait pas lire
Encore moins écrire
C'était à qui raconterait des histoires.
 
Saint Jean fondait tout'l'temps
Fondait en r'merciements.
Il croyait chaque jour
Croyait mourir d'amour.
 
Thomas croyait en rien.
Croyait même pas en lui.
"Dis-moi que c'est moi qui suis bien Thomas."
Qu'il demandait inquiet à autrui.
Le vide le rendait comme fou :
Il mettait toujours ses doigts dans les trous.
 
Matthieu, quand il était en liesse
Au soleil montrait ses fesses.
Philippe et Barthelemy
Jouaient aux osselets en catimini.
 
(Ils avaient la frousse.
Jésus leur avait dit d'une voix douce
Mais sur un drôle de ton :
"Ces os ressusciteront
Entourés de chair rousse.")
 
Judas
Quand il était là
Portait toujours la main au plat
Avec son regard de Judas.
 
En gros, tous ces disciples étaient bouchés.
​​​​​​​C'étaient de pauvres mâles
Qui comprenaient que dalle
À l'éternité.
 
C'étaient de pauvres hommes
Qui vivaient avec Dieu en plein capharnaüm.
 
En ce temps-là pourtant
Les petites gens
Prenaient de l'avancement.
Les derniers couraient plus vite que les premiers.
Les muets parlaient parlaient comme des merles
​​​​​​​On trouvait des perles dans les sangliers.
 
En ce temps-là, les femmes adultères
Repartaient pour la guerre.
Les morts se relevaient
Comme si de rien n'était
Et, se frottant les yeux un brin,
​​​​​​​Aussi sec reprenaient leur train-train.
 
Pour tous ceux qu'avaient froid
Qui cherchaient des mitaines
Ils se rendaient déjà
 À la Samaritaine.
 
​​​​​​​La terre tutoyait le ciel
L'eau c'était du bordeaux
Les flots courroucés devenaient du miel.
 
Y'en avait encore quelques autres
De disciples qu'il faut pas confondre avec les apôtres.
 
Oui, Saint Pierre était le plus fort
Mais quand il rencontrait un coq
Ça lui faisait un choc.
Il pleurait , paraît-il, toutes les larmes de son corps.
 
C'est cependant sa foi qu'était la plus ad hoc.
 
En ce temps-là, les choux étaient en fleurs
Et moi j'étais dedans
A me tourner les pouces en attendant mon heure. 
 
René de Obaldia, Innocentines, poèmes pour enfants et quelques adultes, Editions Bernard Grasset 1969
 
 
 
 
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Le pressoir du temps

Publié le par Fred Pougeard

Cependant qu'en l'école fraîchement repeinte
le maître demeure attentif aux marges nettes,
à la correction des jambages (ils tracent, dit-il,
l'avenir sans faux pas), un fleuve distrait
est sorti de son lit, un tyran s'est levé
hirsute, ou c'est l'ombre d'un nuage
qui change tout à coup l'écriture du monde,
et l'enfant qui rêvait dans la poudreuse
complicité des livres ne trouve plus
le chemin tracé où la vie se lit comme
les lignes de la main. Il s'enfonce déjà
dans le pressoir du temps comme ces mots
déjà s'effacent, qui l'ont porté.
 
Guy Goffette, La Vie promise, Editions Gallimard 1991
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Minoiselle

Publié le par Fred Pougeard

Où c'qu'est la tit'minoiselle
La florette des minous,
la mignotte si joiselle
qui florissait parmi nous ?
 
Où c'qu'est la zouzelle grive
Dont le chant se perlousait
Comme rosée à l'endive
Et myrtille à la forêt ?
 
La voici sous le pleuvant
De ses bouclettes barlongues,
gazouillant à tous les vents
La voyelle et la diphtongue.
 
Ses fossettes, ses dazettes,
Ses nichettes, ses ouillais,
C'est la prune, c'est l'œillet,
La cerise et l'alouette.
 
La voici par l'embellie
Si tontine de maintien
Qu'on dirait dans la prairie
Une biche du matin ;
 
Si tontine, si minette
À bourgeonner du tétin,
Qu'on dirait pour ma cueillette,
L'églantine du lopin. 
 
Jouvencelle, colombelle,
Pimprenelle, mirabelle,
C'est elle, ma péronnelle,
Ma donzelle, ma prunelle,
 
​​​​​​​C'est ell'ma tit'minoiselle.
 
Norge, La Langue verte, Editions Gallimard 1954
 
Illustration, Félix Cals (1810-1880), Fillette au mouton, huile sur panneau 15 x 12cm. Collection particulière

 

 

 
 
 
 
 
 
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