La splendide maison déchue
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En toi, Charity, se dresse sur son tertre —comme dans le monde sphérique de ma mémoire l'image givrée en brille, gonflée par toutes ces haleines — la splendide maison déchue d'où sont partis tous ceux qui y vécurent et y furent vaincus, tous ceux qui en furent dépossédés : par la mort, les voyages ou la désertion. Et la maison apparaît maintenant comme un vieux, très vieux monument dans le souvenir torturant de nous-mêmes, maison aux frises de décembre, emplie de nos conversations, gardienne des choses qui parlent après nous comme, un jour, elles parlaient en nous, et attendant que l'un de nous lui rende son langage, y trouvant le sien du même coup. (Mais je pense combien nos mondes, comme cette maison par exemple, nous retiennent en eux comme ils retiendraient une idée qu'ils conçoivent, ou comme les rêves qu'ils font, où nos visages sont irréels, visage de pierre usés et imprécis d'anciennes métopes familiales, captifs de formes muettes de tumulte, luttant contre l'invasion de quelque race hantée de démons, mi-anges, mi-bêtes. Oh, l'angoisse des visages sans traits, comme des visages perdus dans des brumes de rêve, de chagrin et d'horreur, trous usés de bouches béantes criant des appels que nul ne peut entendre, disant quelque mots, quels mots d'haleine étranglés et qu'il nous faut entendre.) Et, pour trouver ce que nous sommes, nous devons pénétrer à nouveau à l'intérieur des idées, des rêves de mondes qui nous ont faits, nous ont rêvés, et trouver là, attendant les bouches usées, les paroles qui sont les nôtres. Car maintenant, en cet automne, alors que sans arrêt les jeunes circulent sous les branches dénudées des arbres dans l'espoir de se donner quelque réalité, j'ai marché, marché parmi les feuilles gisantes comme des serres perdues, crispées au sol qui les alimenta, me tissant, m'enlaçant à moi-même, rattachant à son arbre la feuille détachée. Car ce qui est perdu n'aspire qu'à se trouver, à se refaire et, par l'entremise de qui l'a retrouvé, à redevenir soi-même —langage pour ce qui n'est pas dit.
William Goyen, La Maison d'haleine. Traduit de l'anglais par Maurice-Edgar Cointreau. Editions Gallimard 1954
Photo : Dorothy Brett, Frieda Lawrence & William Goyen à Taos (Harry Ramson Center/University of Texas at Austin)