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Ceux qui ne veulent pas se laisser briser

Publié le par Fred Pougeard

   
           Cette nuit-là, à l'hôtel : notre chambre, le long corridor vide, nos souliers à la porte, un épais tapis sur le plancher de la chambre ; dehors, la pluie sur les vitres, et dans la chambre, une jolie lumière agréable et douce. Ensuite la lumière éteinte et la volupté et la douceur des draps et du lit confortable. Se sentir chez soi ; ne plus se sentir seul ; se réveiller au milieu de la nuit et la trouver à côté de soi, pas partie. Tout le reste semblait irréel. Nous dormions quand nous étions fatigués, et si l'un de nous se réveillait, l'autre se réveillait également ; ainsi nous ne nous sentions jamais seuls. Souvent un homme a besoin d'être seul, et une femme aussi a besoin d'être seule ; et s'ils s'aiment ils sont jaloux de constater ce sentiment mutuel ; mais je puis dire en toute sincérité que cela ne nous était jamais arrivé. Quand nous étions ensemble, il nous arrivait de nous sentir seuls, mais c'était seuls par rapport aux autres. Je n'ai ressenti cette impression qu'une fois. Je m'étais souvent senti seul avec bien des femmes, et c'est ainsi qu'on se sent le plus seul ; mais nous deux nous ne nous sentions jamais seuls, et nous n'avions jamais peur quand nous étions ensemble. Je sais que la nuit n'est pas semblable au jour, que les choses y sont différentes, que les choses de la nuit ne peuvent s'expliquer à la lumière du jour parce qu'elles n'existent plus alors ; et la nuit peut être effroyable pour les gens seuls, dès qu'ils ont pris conscience de leur solitude ; mais, avec Catherine, il n'y avait pour ainsi dire aucune différence entre le jour et la nuit, sinon que les nuits étaient encore meilleures que les jours. Quand les individus affrontent le monde avec tant de courage, le monde ne peut les briser qu'en les tuant. Et naturellement, il les tue. Le monde brise les individus, et, chez beaucoup, il se forme un cal à l'endroit de la fracture ; mais ceux qui ne veulent pas se laisser briser, alors ceux-là, le monde les tue. Il tue indifféremment les très bons et les très doux et les très braves. Si vous n'êtes pas parmi ceux-là, il vous tuera aussi mais en ce cas, il y mettra du temps.
 
Ernest Hemingway, L'Adieu aux armes. Traduit de l'américain par Maurice E.Coindrau. Editions Gallimard 1948
 
Photo : Hemingway à Milan, 1918
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Moi seul dans les années

Publié le par Fred Pougeard

J'étais nu et la lumière se souvenait
sur mon corps avec des audaces de mémoire
insensé que je fus de ne tuer ce corps
de croire en ces trop douces chairs et en ces larmes !
Mais quoi ! L'irréfutable cire de l'azur
gardait l'empreinte tiède encore de mes gestes
et les choses ruines partout de mon désir
projetaient leur futures ombres sur mon Ame
Ombre sertie de tombeaux et de soleils.
 
Quelle témérité d'oser même une fleur
même une ombre de fleur sur ces fleurs invisibles
je le savais. Pourtant mon sang avait osé
une rose de sang, la seule ! sur la cendre
cendre d'odeurs et pas venus de loin.
 
                          C'était
moi consumé dans l'or profond et la mémoire
mon sang épanoui d'adieu sur les déserts
gorgeait le vénéneux soleil de poisons tendres
leur suc avait tout envahi d'un lustre roux
et l'invisible même avait des seins d'automne.
 
Alors ô Elégie terrible tu montas
sur un accablement d'ombres inachevées
de bras épars et d'étouffante nudité,
tu montas gladiée comme une herbe, l'éclair
de ta présence approfondit le temps à naître
et fit luire le sang. Je fus nu, arrachant
l'ambiguë nudité qui me voilait ma honte
et respirant une orageuse nudité
 
C'étaient des plaines et des plaies instantanées
pays d'arbres croisant le fer et de nuages
je t'y vis nue harpe en délire qui troublais
le rythme de la mémoire et de la terre
je vis mûrir plus rapides que la pensée
d'ironiques moissons d'ivraie sur les famines
je vis les femmes adossées au souvenir
se défaire sous le fléau comme des gerbes
je vis crouler le tas de froment des armées
je vis dans les terres de sang l'acier germer
et toi criblée d'épis tu rendais fou les astres
ordonnateurs du sang des germes des nuées
 
Ton ombre était la mer et j'étais ton ombre
c'est pourquoi j'étais nu violemment contre dieu
ce dieu clair plus épineux que les ténèbres
en lequel je m'ouvrais un chemin vers l'enfer
​​​​​​​tandis qu'un noir recul de monts ou bien d'années
rejetait le futur en arrière, laissant
une étendue sans lieu à la place du sang
 
Je chantais. Et la lumière avec douceur
abandonnait les ombres et les formes
Je chantais. Et ma chair même se vidait
​​​​​​​du clair-obscur laissé par le sang en mes veines
Je chantais. Et les pleurs anciens se déchiraient
sur un étrange crépuscule de musique
l'Enfer.
 
Pierre Emmanuel, Tombeau d'Orphée Seghers 1967
 
Image Louis Henri Foreau, Orphée criant sa douleur, Musée de Valence
 
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Endroits, passages

Publié le par Fred Pougeard

I
 
Comme une aveugle elle sourit à toutes les chaises vides,
autour d'elle les gens les retirent et s'inclinent.
 
Sa bouche remue, elle s'écoute avec ses lèvres,
et devant elle il y a des cartes postales vierges.
 
Elle courbe la tête, comme une tête courbée
sous des reproches et dans ses cheveux
 
sa main écrit : mon amour, je vis encore, je t'écris
et je pense encore à toi, et c'est bête de ma part.
 
II
 
Nous avions fermé portes et fenêtres,
nous ne voulions ni les rapines ni le régime
des parasites et horlogers. Nos secrets
c'étaient notre Maison et le Temps Immobile.
 
(M., tu vivais dans mon cœur comme un singe
esseulé dans sa cage. À bien le voir ton visage
était dans un état, un état : une pomme oubliée
qu'on retrouve ridée en hiver.
 
Amour devient maladie, s'il ne meurt pas
malgré l'oubli, perdre ce qui reste quand même,
là où pendait la photo, c'est ça la maladie.
 
Mais l'amour, M., c'était moi. Ma façon
d'attendre presque assoupi sur le Voyage
au bout de la nuit. Je t'attendais, mais
tu ne venais pas, tu ne venais pas.)
 
Nous avions dans notre Maison un espace, des moments
qui ne s'écoulaient pas, ils étaient à nous
et nous rêvions de ne plus nous réveiller,
mais de guérir, sans savoir de quoi.
 
III
 
Il n'y a plus de misère parmi les hommes,
bière et rigolade jusqu'en pleine nuit.
Le chagrin c'est pour les héros tragiques, voilà.
 
Non, il y a un bonheur immense de nos jours,
on a oublié les classiques morbides, les idylles
secrètes de Hermans, Lermontov, Céline.
 
"Nous avions des amis qui nous ont trahis,
nous avions des amants qui nous ont haïs,
nous avons au corps un feu glacé."
 
Voilà tout le drame : personne ne revient
de la nuit. Nos rêves le cèderont
aux faits, jamais l'inverse, jamais l'inverse.
 
(...)
 
Rutger Kopland, Un endroit vide (extraits) (1975) dans Songer à partir, poèmes, traduit du néerlandais par Paul Gellings. Introduction de Jean Grosjean. Gallimard "Du monde entier" 1986
 
Photo : Rutger Kopland en 2004, par Jean-Paul Iska
 
 
 
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Le mystère

Publié le par Fred Pougeard

Retenant le soleil, surgissant des feuillages,
Le mur fleurit, mais oui : le vieux mur qui oublie
Les siècles de son âge et devient un instant
Sous quelle main ? cette tartine de splendeur,
Ce pain beurré d'une lumière d'outre-temps
Dont le parfum survient, évident et secret
Comme un miracle est inconnu jusqu'à son heure.
Et l'on apprend ici que cette âme de l'âme
Nous parle de si près sa langue souveraine
Qu'elle est comme une haleine où nous sommes les mots.
 
Armel Guerne, Le Poids vivant de la parole Fédérop 2007, réunissant Au bout du temps, Solaire-Fédérop 1981, Le Poids vivant de la parole Fédérop 1983 et des poèmes inédits.
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Mémoire

Publié le par Fred Pougeard

Les morts en gare de Montbard
Sous leur lit fleuri de pierre neuve
Les dents serrées les yeux fermés
Cherchent-ils à comprendre ?
 
Les souvenirs sont faits
De petits riens qui durent
De petits rien très durs
En travers de la gorge
 
Le ciel bleu chaque soir
Ranime un peu de braise 
Puis le vent retombe
 
Les toits de tuile ont des lueurs
Plus grises et la douleur
S'assourdit un peu
 
En ce début de mars
Les arbres sont encore mauves
Et noirs avec des façons désolées
D'attendre le printemps et de ne pas y croire
 
Jean-Michel Maulpoix, Rue des fleurs, Mercure de France 2022
 
Photo : copyright Fred Pougeard
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Chansonnette optimiste/Optimistisches Liedchen

Publié le par Fred Pougeard

Il arrive de temps en temps
que quelqu'un crie au secours.
Déjà quelqu'un d'autre se jette à l'eau
sans en attendre aucun retour.
 
Au milieu du plus épais capitalisme
les pompiers rutilants tournent
la rue, éteignent le feu, ou le chapeau
du mendiant soudain brille d'un éclat d'argent.
 
Le matin, les rues fourmillent
de gens qui sans couteau tiré
s'empressent, çà, là, le cœur serein,
cherchant du lait et des radis.
 
Comme dans la paix la plus profonde.
 
C'est magnifique à voir.
 
 
*
 
Hie und da kommt es vor,
daß einer um Hilfe schreit.
Schon springt ein andrer ins Wasser,
vollkommen kostenlos.
Mitten im dicksten Kapitalismus
kommt die schimmernde Feuerwehr
um die Ecke und löscht, oder im Hut
des Bettlers silbert es plötzlich.
Vormittags wimmelt es auf den Straßen
von Personen, die ohne gezücktes Messer
hin- und herlaufen, seelenruhig,
auf der Suche nach Milch und Radieschen.
Wie im tiefsten Frieden. 
Ein herrlicher Anblick
Hans Magnus Enzensberger, Leichter als Luft, Suhrkamp Verlag, Frankfurt am Main 1999, traduction inédite de Lionel Edouard Martin.
 
https://lionel-edouard-martin.net/2022/11/26/hans-magnus-enzensberger-1929-2022-chansonnette-optimiste-optimistisches-liedchen/
crédit photo : Pressphoto Lancia PN
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La réponse/La responsa

Publié le par Fred Pougeard

   
 Alors vous m'appellerez.
 
     Comme la mère appuyée à la barrière appelle son fils dans le pré,
     vous m'appellerez du fond du cœur, avec votre voix claire, parmi les bois, dont l'écho résonne de val en val.
 
    Vous m'appellerez — comme la mère appelle son fils qui fauche entre les haies l'herbe tendre et la centaurée.
     Comme la mère appelle son fils, parce que la soupe est trempée et les crêpes chaudes —ainsi vous m'appellerez.
 
     Vous m'appellerez. Mais moi, que répondre ? 
 
      À la soif de ton cœur, quelle eau verserai-je ? À la faim de tes dents, quel pain présenterai-je ?
 
     Il y aura longtemps, alors, que je dormirai sous la pierre morte, longtemps que sera sèche la source de mon sang,
     et longtemps que ma voix aura glacé mes lèvres, et ma langue derrière ses palissades.
 
     Alors vous m'appellerez !
 
     Et moi, comment répondre ? —C'est pourquoi dès maintenant je vais répondre. Je dirai ce qui se dit, du fond du cœur, à qui m'appelle.
     Ce que l'on sait  —la douleur et la peur, l'amour et l'éclair, le soleil sur les moissons, la grande nuit couchée.
 
​​​​​​​     Certainement vous m'appellerez.
 
​​​​​​​      Et moi c'est maintenant que je réponds. Comme le fils parle à sa mère, en fauchant le pré.
      Et comme il lui répond sans entendre l'appel, quand il s'assied près de la source, sur le foin parfumé.
 
     Qu'il lui répond de toute sa pensée.
 
     Et du fond de la chair comme le fils parle à sa mère, de tout son poids.
 
*
 
     'Laidonc me cridaretz.
 
     Coma la mair se ten' poiada  a la charrau e crida son filh en lo prat,
     me cridaretz dau fons dau còr, emb la votz clara entre los bòscs, que s'aove lo resano de combada en combada.
 
     Me cridaretz. Mas peu, que vos respondre ?
 
     A la set de ton còr, quala aiga vojarai ?A la fam de tas dents, de quau pan portarai ?
 
     'Laidonc, i aura dau temps que dormirai entre la peira mòrta, et dau temps que mon sang sera sec dins la font,
     et dau temps que ma votz aura gialat ma pòta, e ma lenga darrier sos palencs.
 
     'Laidonc me cridaretz !
 
     E ieu, coma respondre ? —Mas aura respondrai. Dirai ço que se ditz, dau fons dau còr, a qui me crida.
     Ço que se sap —la dolor et la paur, l'amor e l'esluciada, e lo solehl sus las meissons, la granda nuech coijada. 
 
     Segur me cridaretz.
 
     E ieu quo es aura que responde. Coma lo filh parla a sa mair, en sejar dins la prada.
     E coma li répond sens auvir sa cridada, quand s'asseta a l'aras de la font, sus l'erra perfumada.
 
     E li respond de tota sa pensada.
 
     E dau fons de la charn coma lo filh parla a sa mair de tota sa pesada.
 
Marcela Delpastre, Paraulas per questa terra, Paroles pour cette terre, tome II. Editions dau Chamin de sent jaume, 1997
 
Photographie : Charles Camberocque.
 
Petite série, pour le 25e anniversaire de la disparition de Marcelle Delpastre.
Pour commander les livres de Marcelle Delpastre, votre libraire doit appeler ici M. Jan Dau Melhau :
Edicions dau Chamin de Sent Jaume
Roier / Royer
87380 Meusac / Meuzac
Tél. 05 55 09 96 61
 
 
 
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XC

Publié le par Fred Pougeard

Then hate me when thou wilt ; if ever, now ;
Now, while the world is bent my deeds to cross,
Join with the spite of fortune, make me bow,
And do not drop in for an after-loss.
Ah, do not, when my heart hath'scaped this sorrow,
Come in the rearward of a conquer'd woe ;
Give not a windy night a rainy morrow,
To linger out a purpose overthrow.
If thou wilt leave me, do not leave me last,
When other petty griefs have done their spite,
But in the onset come : so shall I taste
At first the very worst of fortune's might ;
                    And other strains of woe, which now seem woe,
                    Compar'd with loss of thee will not seem so.
 
*
 
Hais-moi donc. S'il le faut, hais-moi dès à présent,
A présent que le monde entier me fait la guerre ;
Joins-toi, pour m'accabler, à mon destin méchant,
Ne sois pas le héraut d'une ultime misère.
 
Ne viens pas dans mon cœur, vainqueur de son chagrin,
Comme une arrière-garde à ce mal qui s'efface ;
ne donne à nuit venteuse un pluvieux matin
En venant m'achever d'un sournois coup de grâce.
 
Si tu veux me quitter, que ce ne soit pas trop tard,
Quand de petits chagrins m'auront fait leur injure.
Monte au premier assaut, pour que dès le départ,
Fortune m'ait touché de sa pire blessure ;
 
                   Et maint autre malheur ou malheur prétendu 
                    Ne me sera plus rien, quand je t'aurai perdu.
 
William Shakespeare, Sonnets, traduits par Jean Malaplate. Editions L'âge d'homme 1992
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Brême éternité

Publié le par Fred Pougeard

Un jour on est une racaille à soupirs et à plaintes
un jour danseur hilare on crève le temps
aujourd'hui j'ai le cœur serré par cette fille de Brême
haute et pâle aux cheveux noirs d'ivoire
venue m'écouter lointaine mais visage offert
et si belle que j'ai détourné les yeux pour fuir
son regard gris de mer velouté par les cils
 
elle penchait légère au bord de l'instant
je lui ai dit merci pour goûter à sa voix
grenat et doucement penser à elle nue
pâleur éblouissante et la toison ténèbre
 
elle est debout dans mon allure elle marche avec moi
la promenade am Wall a goût d'octobre
est-ce qu'on se reverra dans cette vie
wenn aus der Ferne da wir geschieden sind
moi mon invitée l'absente qui me cherche
car pour l'autre vie je l'y pose en souffrance
debout dans une brève éternité de mots
où elle est cette lenteur en moi qui fait silence
 
Ludovic Janvier, inédit dans Orphée Studio, Poésie d'aujourd'hui à voix haute, Gallimard 1999
 
 
 
 
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Le soir/Lo ser

Publié le par Fred Pougeard

     
     Quand j'ai fini de labourer le champ, je m'arrête un peu —ainsi faisait mon grand-père— et je m'assieds un moment sur la motte retournée.
     Bonne terre douce à toucher, fraîche comme le bord de l'eau, combien de fois ai-je mesuré mon corps de chair à ton grand corps, plus tendre que le pain, plus dur que la terre gelée ?
 
     Voici venu le soir ; la large mer du ciel, avec ses grains d'étoiles commence à s'en aller vers le jour qui vient, 
     commence à marcher comme un champ de seigle vert, la fleur dans l'épi, quand le vent de midi souffle dans le soleil.
 
     Tu en as porté des seigles, bonne terre légère, fraîche comme une fontaine ; tu en as donné des moissons de joie et de travail dans le chaud de l'été.
     Tu en as mûri, en vérité, de la vie, qui monte par la sève son eau salée depuis les profondes racines et s'en va dans le sang de notre âme éternelle. 
 
     Viendra le soir de tous les soirs. Et le ciel s'en ira, avec ses grains d'étoiles, tel un champ de seigle vert aux semences nouvelles.
     Puissé-je, alors, puissé-je me coucher au fond du sillon, dans la terre retournée, fraîche comme un arbre vivant dans sa sève salée.
 
    Alors, terre douce à toucher, terre de bonne odeur, je te rendrai ce peu de sang que tu m'as donné, ma vie pauvre, et la parole qui me tenait le corps et l'âme ensemble.
​​​​​​​     Alors, terre ma mère, mûris mes moissons, fais germer ma parole ! Et ma vie pauvre de ce temps, fais-en le champ qui va d'un bord du ciel à l'autre. 
 
     En espérance ainsi, je console mon cœur, même si je n'y crois guère... 
 
*
 
     Quand ai'chabat de laborar lo champ, m'aplante un pauc —aitau fasia mon grand— e m'assete un moment sus la gleva virada.
​​​​​​​     Bonne terra mofla; frescha coma la broa de l'aiga, quantben de còps ai mesurât mon còrs de charn a ton grand còrs, pus tendre que lo pan, pus dur que la peira gialada ?
 
     Veiqui vengut lo ser ; la larja mar dau ciau, emb sos gruns d'estialas comença de se'n nar d'aiciant' au jorn que ven,
​​​​​​​     comença de marchar, tala un champ de blat verd, la flor dins l'espija, quand lo vent de miegjorn bufa dins lo solelh. 
 
​​​​​​​     Ne'n as portat dags blats, bona terra leugiera, frescha coma 'na font, ne'n as menat, de las meissons de jòia e de trabalh, dins la chalor d'estiu.
​​​​​​​     Tu ne'n as madurat, segur de la vita, que monta per la saba son aiga salada, dempuei las raiç priondas e se'n vai dins lo sang de nòstra arma eternala.
 
     Vendra lo ser de tots los sers. E lo ciau se'n nira, emb sos gruns d'estialas tal un champ de blat verd per lo semen noveu.
     Poguesse-ieu, laidonc, poguesse-ieu m'estendre au fons de la reja, dins la terra virada, coma l'aubre viu frescha en sa saba salada. 
 
     Laidonc, terra mofla, terra de bona odor, te tornarai queu pauc de sang que m'as balhat, ma vita paura, e la paraula que me tenia lo còrs et l'arma tot ensemble.
     Laidonc, terra ma mair, madura mas meissons, erminia ma paraula ! E ma paubra vita d'aqueu temps, fai-ne'n lo chip que vai d'un biais dau ciau a l'autre !
 
     Aitau me conòrte lo còr, zo creiguesse-ieu gaire...
 
Marcela Delpastre, La lenga que tant me platz, la langue qui tant me plaît, (août 1963), publié par la revue Lemozi en avril 1964, repris dans D'una Lenga l'autra (D'une langue l'autre). Edicions dau chamin de sent Jaume 2001
 
Petite série, pour le 25e anniversaire de la disparition de Marcelle Delpastre.
Pour commander les livres de Marcelle Delpastre, votre libraire doit appeler ici M. Jan Dauu Melhau :
Edicions dau Chamin de Sent-Jaume
Roier / Royer
87380 Meusac / Meuzac
Tél. 05 55 09 96 61
 
 
     
 
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