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Madrigal du rouleau de fer

Publié le par Fred Pougeard

Écrire de la poésie fut longtemps le cadet
de mes soucis cela me prit avant-hier
Quelle mouche le piqua demande le fabuliste
quoi qu'il en soit voici s'il vous plaît
une histoire en vers avec un rouleau de fer
 
Vincent mon grand-père paternel
un soir de printemps m'ordonna
de passer le rouleau sur une terre labourée
tu vas rouloyer Ker-an-graz
 
Qu'il soit de pierre ou de fer le rouleau est la Loi
à douze ans on obéit aux ordres d'un tad koz
ancien prisonnier de guerre Torgau-sur-Elbe en Saxe
gela le cœur durcit les yeux du laboureur-soldat
son épouse Jeanne peut témoigner elle qui
est vaste silence de ciel dessus le mâle aboi
 
L'engin rouleau la précision importe
est un outil agricole tracté formé d'un 
double ou triple cylindre
cette révolution affermit les blés
On tient le cheval au licol
pendant que le tambour dans la lice
motte après motte brise
 
La parcelle dont je parle
pas un lopin mais une vaste main
de terre collante qui embrasse
les meules d'un sceau
de glèbe ocre et grasse
 
La nuit étendait son empire
depuis une heure quand
j'aperçus le pire
de l'aventure —après
tout le champ rouloyé
devais ramener l'attelage
brinquebalant par la route
dans le noir
cheval et moi allâmes tremblants
qu'une voiture au détour
d'une courbe nous heurtât
 
c'est un fameux bout de chemin
jusqu'à Kersaint
rouleau de fer sur macadam
fait grand ramdam
Et la jument lasse encensait
d'épuisement et faisant
des écarts de frayeur aux lucioles
 
Au retour je trouvais Vince
lunetté cul de bouteille et bonnetté
à méditer sur ses graines de choux
— eh te voilà enfin
si tard me dit-il
— ces journaux de Ker-an-graz dis-je
sont longs comme la messe
— repose-toi bien
dit-il demain tu devras
rouler la parcelle voisine
— je ne puis
j'ai un poème à savoir
— eh bien tu le sauras mieux
en rouloyant le globe
et ce poème tu me le diras demain soir
je m'ennuie à compter mes graines
 
Or de poème pas
si bien qu'il me fallut l'écrire
et de le dire à Vincent
qui devait en secret l'attendre
puisqu'il m'accorda 
le temps de rédiger
 
La poésie abondait de zéphyrs
de nymphes et de pâtres
d'accents de césures
et de tours baroquisants
car je voulais sinon l'éblouir
du moins produire
l'illusion du vrai poème
Je ne fis que l'endormir
Mais au dernier mot il rouvrit l’œil
et demanda au juste
de quoi cela parle-t-il ?
 
Daniel Morvan, Quitter la terre, Éditions Le temps qu'il fait, 2024
 
 
 
 
 
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Les espaces du sommeil

Publié le par Fred Pougeard

Dans la nuit il y a naturellement les sept merveilles du monde et la grandeur et le tragique et le charme.
Les forêts s'y heurtent confusément avec des créatures de légende cachées dans les fourrés.
Il y a toi.
Dans la nuit il y a le pas du promeneur et celui de l'assassin et celui du sergent de ville et la lumière du réverbère et celle de la lanterne du chiffonnier.
Il y a toi
Dans la nuit passent les trains et le bateau et le mirage des pays où il fait jour. Les derniers souffles du crépuscule et les premiers frissons de l'aube.
Il y a toi.
Un air de piano, un éclat de voix.
Une porte claque. Une horloge. 
Et pas seulement les êtres et les choses et les bruits matériels.
Mais encore moi qui me poursuis ou sans cesse me dépasse.
Il y a toi l'immolée, toi que j'attends. 
Parfois d'étranges figures naissent à l'instant du sommeil et disparaissent.
Quand je ferme les yeux, des floraisons phosphorescentes apparaissent et se fanent et renaissent comme des feux d'artifice charnus.
Des pays inconnus que je parcours en compagnie de créatures.
Il y a toi sans doute, ô belle et discrète espionne.
Et l'âme palpable de l'étendue.
Et les parfums du ciel et des étoiles et le chant du coq d'il y a 2000 ans et le cri du paon dans des parcs en flamme et des baisers.
Des mains qui se serrent sinistrement dans une lumière blafarde et des essieux qui grincent sur des routes médusantes.
Il y a toi sans doute que je ne connais pas, que je connais au contraire.
Mais qui présente dans mes rêves s'obstine à s'y laisser deviner sans y paraître.
Toi qui restes insaisissable dans la réalité et dans le rêve.
Toi qui m'appartiens de par ma volonté de te posséder en illusion mais qui n'approches ton visage du mien que les yeux clos aussi bien au rêve qu'à la réalité.
Toi qu'en dépit d'une rhétorique facile où le flot meurt sur les plages, où la corneille vole dans des usines en ruines, où le bois pourrit en craquant sous un soleil de plomb,
Toi qui es à la base de mes rêves et qui secoue mon esprit plein de métamorphoses et qui me laisses ton gant quand je baise ta main.
Dans la nuit, il y a les étoiles et le mouvement ténébreux de la mer, des fleuves, des forêts, des villes, des herbes, des poumons de millions et millions d'êtres.
Dans la nuit, il y a les merveilles du monde.
Dans la nuit, il n'y a pas d'anges gardiens mais il y a le sommeil.
Dans la nuit il y a toi.
Dans le jour aussi.
 
Robert DesnosÀ la mystérieuse (1926) dans Corps et biens, Editions Gallimard 1930
 
Photo : Man Ray, Desnos dans l'atelier de Breton, 1922
 
 
 
 

 

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Dans la serre

Publié le par Fred Pougeard

Un piétinement de taupes emplit
la serre des citronniers,
dans un chapelet de gouttes hésitantes
la faux à foin brilla.
 
Sur les coings s'alluma
un point, une cochenille,
on entendit se cabrer sous l'étrille
le poney —puis le rêve triompha.
 
Ravi et léger, j'étais imprégné
de toi, ta forme était en moi
souffle secret ; ton visage
dans le mien se fondait, et l'obscure
 
pensée de Dieu descendait
sur les rares vivants, parmi les sons
célestes et d'enfantins tambours
et d'aériens globes d'éclairs
 
sur moi, sur toi, sur les citrons...
 
1945-46
 
Eugenio Montale, La Bufera e altro (La Tourmente et autres textes 1939-1954, 1ere édition 1956) dans Poèmes choisis (1916-1990), édition de Patrice Dyerval Angelini, Gallimard 1991
 
Photo : Portrait d'Eugenio Mantale par Carlo Levi, 1941
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Poème, va

Publié le par Fred Pougeard

par où commencer
 
ça fait boule
maintenant
 
ça tourne dedans
 
__
 
on se souvient presque
 
un jour il y a eu
un pays plan
stable
et un chemin balisé
sûr
 
__
 
il y a eu lieu
 
qui était sur place
 
on ne sait pas
plus
 
__
 
c'est
loin
 
hors de portée des mains
 
__
 
autour de la terre
des mots
des bouts de tête
 
et tout bouge
 
__
 
terre molle
dans le temps
de même
elle tourne
 
et on marche
sans se rapprocher
 
__
 
il n'y a plus de vent
 
on est allé
 
c'est le sol qui passe
sous les pieds
 
__
 
sans cesse modeler
 
l'avant
 
pour faire face
 
__
 
et sans cesse
dans les mains
comme un visage
qui se défait
 
__
 
alors les mots même mal
 
mais au moins
là encore
les mots
 
et un paquet trempé
porté plus loin
sans faire d'histoire
 
__
 
c'est commencé 
quand on arrive
 
après
on voit la terre
devant
 
on va
donc
 
Antoine Emaz, Poème, va éds De 1993, repris dans Caisse claire, poèmes 1990-1997, anthologie établie par François-Marie Deyrolle, éditions Points 2007
 
 

 

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Mai

Publié le par Fred Pougeard

Plus beaux
Qu'un jouet cassé
Les mouvements de l'amour
Dans le vide à ramages
Plantes folles
De la distance traversière
Tout l'espace de la chambre
Tangue
Sur un seul genou
La mémoire voyage
Et se convertit
En mobilier de verre
Volets clos
D'une goutte d'eau
La splendide menace du possible
Se propage
Dans les linges blancs du temps
Un rêve
Un seul rêve
Excède
Scandaleusement
L'insolence du premier soleil
Vie virage du rire
Les ténèbres ont le dos au mur
Plaquées contre une enfance gigantesque
 
Annie Le Brun, Les Saisons dans Ombre pour ombre, Editions Gallimard 2004
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Piccolo Testamento/Petit Testament

Publié le par Fred Pougeard

Cette lueur qui veille la nuit
dans la calotte de ma pensée,
trace nacrée de limace
ou poussière de verre écrasé,
n'est pas lampe d'église ou d'usine
qu'alimente
rouge ou noir, un clerc.
Moi je ne peux te laisser
que l'irisé en témoignage
d'une foi qui fut combattue,
d'une espérance qui brûla, plus lente
qu'une souche dure dans l'âtre.
Conserves-en la poudre dans ton miroir
quand, toute lampe éteinte,
la sardane deviendra infernale
et qu'un Lucifer ténébreux descendra sur une proue
de la Tamise, de l'Hudson, de la Seine,
en secouant ses ailes de bitume à moitié
brisées de fatigue, pour te dire : il est l'heure.
Ce n'est pas un héritage, ni un porte-bonheur
pouvant résister au choc des moussons
sur le fil d'aragne de la mémoire,
mais une histoire ne dure que dans la cendre
et seul s'éteindre est persister. 
Le signal était juste : qui l'a perçu
ne pourra manquer de te retrouver.
Chacun reconnaîtra les siens : l'orgueil
n'était pas fuite, ni l'humilité
veulerie, l'éclair tenu craqué là-bas
n'était pas celui d'une allumette.
 
12 mai 1953
 
Eugenio Montale, La Tourmente et autres textes (1939-1954), 1ere édition 1956 dans Poèmes choisis (1916-1980), édition de Patrice Dyerval Angelini, Gallimard 1991
 
Photo : Eugenio Montale, 1956 copyright Archivio Farabola
 
 
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Un Souffle à peine

Publié le par Fred Pougeard

Au cœur même d'une passerose
le souffle à peine
du jardinier
Bien fragile
ce peu de chose
qui ressuscite par la bouche
le monde multiple
où se couchent
les chiens sauvages
de nos étés...
 
Hôpital Saint Joseph, 7 juin 1986, 9h
 
DE VINS MAUVES ET DOUX
 
Qui m'a repris l'enfance
qui m'a jetée debout
dans ce monde vertical
dans ce peuple de fous ?...
Je voulais être grande
pour me mettre à genoux
sous la tuile des combles
où dorment les chemins
creusés de souvenirs...
 
Qui m'a forcée à dire
des mots serrés en grappes
au vide de la bouche
qu'on lance 
et qu'on rattrape
pour mieux s'en resservir ?...
Des mots
toujours des mots
à ne savoir que faire
de leur banalité...
 
Qui m'a forcée à taire
l'escale des couteaux
dans les herbes foraines
où tournaient les chevaux
à l'intention de l'œil ?...
Je voulais être grande
j'ai appris à user
le cal de mes genoux
sur la terre bafouée
rêvant de graminées
aux gestes puérils
des vins mauves et doux...
 
Hôpital Saint Joseph, 26 juillet 1986
 
Simone Added Sauvageot, L'Œil en dérive, poèmes Maison Rhodanienne de Poésie, 1986
 
Livre trouvé ce jour au Cafégem, rue Passe-Demoiselle, à Reims
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Loin d'ici —près d'ailleurs

Publié le par Fred Pougeard

(Ermitage de la Martinière,2)
 
En dédicace à Orthaire, l'ermite de Malloué
 
Je suis ici. Le monde et la durée,
déjà bien vieux, m'entourent
ils m'attendaient depuis longtemps
 
la lune et le soleil
le ciel et ses étoiles
font de grands cercles autour de moi
 
les frondaisons s'inclinent
les mésanges pépient
je décide de rester un peu.
 
*
 
L'aube est venue
mais non la lumière
 
puis midi
mais non la chaleur
 
puis le soir 
mais non le repos
 
Clarté d'étoile de la nuit !
Couvé au cœur chaud de la nuit !
Paix, paix obscure de la nuit !
 
*
 
Tout ce que je vois 
fait lumière à mes yeux
— astre-monde !
 
Tout ce que j'entends 
me chante dans l'oreille
— musique d'être !
 
Tout ce que je touche
M'éveille à la matière
— divin divers !
 
*
 
En chaque goutte de rosée
s'évaporent
un minuscule soleil matinal
 
et un moi miniature contemplant
plein d'espoir
ce beau jour qui commence
 
Un bouvreuil s'égosille
le prunier est en fleur
Qu'aurais-je à regretter ?
 
*
 
Equinoxe :
la terre se retourne
pour prendre le soleil
 
Vives eaux :
la mer s'étire
pour attraper la lune
 
Minuit :
je sors de chez moi
et rêve aux étoiles.
 
*
 
Entré ce jour dans ma phase mortelle
j'entreprends de dé-vivre :
 
oublier les souvenirs
perdre, offrir ou détruire
les vagues possessions
borner les horizons
 
n'être plus que présent
le plus intensément
ici même à l'instant.
 
*
 
Bâtir ici ma demeure natale
sur les ruines de mon tombeau
 
cheviller un berceau
du bois de mon cercueil
me langer d'un linceul
 
sur un dernier soupir
commencer à parler
 
m'être laissé mourir
et me réenfanter.
 
*
 
Hommage à Bashô
 
Ma cabane n'a pas de clef
car elle n'a pas de porte
 
Elle n'a pas de fenêtres
Parce qu'elle est sans murs
 
N'ayant pas de toit
elle ne fait aucune ombre
 
L'air y est toujours frais
la lumière y est prodigieuse
et elle n'a pas de clef.
 
*
 
Je suis le vieil ermite
Ni route ni sentier
ne mènent où j'habite
 
Je vis seul avec moi
Qui me rendrait visite
qu'il prenne par les bois
 
En moi le monde est mort
Si les loups le dévorent
je saurai bien pourquoi.
 
Daniel de Bruycker, Neuvaines 1 à 3, poésie. maestrÖm reEvolution 2015
 
 
 
 
 
 
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Les pêcheurs

Publié le par Fred Pougeard

La misère seule, Diophante, réveille les savoirs,
Elle seule enseigne le labeur. Car même dormir,
Les soucis mauvais l'interdisent aux ouvriers.
Et si, pour un peu de nuit, ils trouvent le sommeil,
Tout d'un coup les angoisses les bouleversent, dressées au-dessus d'eux.
 
Deux chasseurs de poissons, deux vieillards étaient couchés
Sur des algues sèches, côte à côte, sous une cabane de roseaux,
Ils dormaient contre un mur de feuillages, et près d'eux
Les instruments de leurs luttes : paniers,
cannes à pêche, hameçons, appâts couverts d'algues,
Des lignes, des nasses, des labyrinthes tressés en jonc,
Des cordes, des rames, une vieille barque sur des étais,
Sous leur tête une pauvre vieille natte, et de quoi s'habiller, et des bonnets.
Telles sont les seules ressources des pêcheurs, telle leur richesse. 
 
Le seuil n'avait pas de porte, pas de chien. Toutes ces choses
Leur semblaient superflues : la misère les protégeait.
Nul voisin, mais autour de leur petite cabane
Allait et venait doucement la mer.
Alors que la Lune n'avait pas encore conduit son char à la moitié du chemin,
Les pêcheurs furent réveillés par le travail, et de leurs paupières
Ils chassèrent le sommeil, et passèrent de la pensée à la chanson.
 
ASPHALION. Ils mentent, ami, tous ceux qui ont prétendu que les nuits 
Raccourcissent en été, lorsque Zeus nous portent des jours plus longs.
J'ai déjà vu des milliers de rêves, et toujours pas l'aurore !
Je n'ai pas oublié, mais la nuit traîne encore.
 
LE COMPAGNON. Pourquoi calomnier le bel été ? Car ce n'est pas le temps,
Asphalion, qui a quitté son cours —mais l'inquiétude
Frappe ton sommeil, et c'est ce qui prolonge tes nuits.
 
ASPHALION. As-tu jamais appris à interpréter les rêves ?
C'est qu'ils étaient heureux,
Et je veux que tu aies part à ma vision.
 
LE COMPAGNON. Comme nous partageons notre pêche, partage tous tes rêves.
Car même si je dois recourir à mon seul jugement,
Le meilleur interprète est celui qui suit son jugement.
Et puis nous avons du temps libre. Que faire en effet
Couchés sur des algues, près des vagues, et sans dormir,
Comme l'âne dans les ronces ou la lampe du prytanée ?
Car on dit qu'eux aussi ne trouvent pas le sommeil.
Vas-y, mon ami, l'apparition
Que tu as vue cette nuit, fais-la connaître à ton compagnon.
 
ASPHALION. Hier soir je me suis endormi après avoir travaillé sur la mer
Le repas avait été frugal, nous avions dîné à l'heure juste,
Si tu te rappelles, épargnant nos estomacs, je me suis vu
Assis sur un rocher, affamé, et je guettais
Les poissons, laissant aller l'appât trompeur au bout de ma canne à pêche.
Et un des gros y mordit —oui même dans les rêves,
Tous les chiens voient du pain, et moi du poisson.
Et il était pris à l'hameçon, et le sang coulait.
Ses mouvement faisaient plier ma canne à pêche,
je la serrais de mes deux mains, tout courbé, énorme lutte !
Comment prendre ce poisson avec des crochets si faibles ?
Je lui rappelle la blessure en faisant jouer le hameçon doucement,
Puis je relâche un peu la ligne ; il ne cherche plus à fuir : je tire.
La lutte était finie, j'avais pêché un poisson d'or,
Tout parsemé d'or. Une terreur me saisit :
Et si c'était un poisson ami de Poséidon,
Ou peut-être un trésor d'Amphitrite ?
Doucement, je le décroche de l'hameçon,
En faisant attention à ce que sa bouche ne laisse pas d'or sur les pointes.
Et je fis ce serment : "Plus jamais je ne poserai un pied sur la mer,
je resterai sur la terre à régner sur mon or."
Voilà ce qui m'a réveillé. mais toi, mon ami, exerce maintenant
Ta pensée. Car ce serment que j'ai juré, il me terrifie.
 
LE COMPAGNON. Non, non ne tremble pas. Tu n'as rien juré. Car le poisson
D'or que tu as vu, tu ne l'as pas trouvé, ta vision n'est que mensonge.
Mais si, sans dormir, tu explores ces espaces,
Dans tes rêves, il y a de l'espoir : cherche le poisson charnel,
Si tu ne veux pas mourir de faim à rêver d'or.
 
Théocrite, Les Magiciennes et autres idylles Présentation (magnifique), édition et traduction de Pierre Vesperini. Editions Gallimard 2021 
 
Ill. Le Poisson d'or (1925), Paul Klee
 
 
 
 
 
 
 
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Tenebrae

Publié le par Fred Pougeard

Nous sommes proches, Seigneur,
proches et saisissables.
 
Déjà saisis, Seigneur,
engriffés l'un en l'autre, comme
si la chair d'un chacun de nous était
ta chair, Seigneur.
 
Prie Seigneur,
invoque nous,
nous sommes proches.
 
Nous allions déviés par le vent,
nous allions nous courber
aux mares creuses des marais.
 
Nous allions à l'abreuvoir, Seigneur.
 
C'était du sang, c'était
ce que tu as répandu, Seigneur.
 
Ça brillait.
 
Ça nous jetait ton image aux yeux, Seigneur.
Yeux et bouches sont si ouverts, sont si vides, Seigneur.
Nous avons bu, Seigneur,
le sang et l'image qui était dans le sang, Seigneur.
 
Prie, Seigneur
Nous sommes proches.
 
*
 
Nah sind wir, Herr
nahe und greifbar.
 
Gegriffen schon, Herr,
ineinander verkrallt, als wär
der Leib eines jeden von uns
dein Leib, Herr.
 
Bete, Herr
bete zu uns,
wir sind nah.
 
Windschief gingen wir hin,
gingen wir hin, uns zu bücken
nach Mulde und Maar.
 
Zur Tränke gingen wir, Herr.
 
es war Blut, es war,
was du vergossen, Herr.
 
Es glänzte.
 
Es warf uns dein Bild in die Augen, Herr.
Augen und Mund stehn so offen und leer, Herr.
Wir haben getrunken, Herr.
Das Blut und das Bild, das im Blut war, Herr.
 
Bete, Herr.
Wir sind nah.
 
Paul Celan (1959) dans Poèmes, traduits de l'allemand par John E Jackson, Editions Unes 1987
 
Photo : Paul Celan (1963) par Lüfti Özkök
 
 
 
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