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Mai

Publié le par Fred Pougeard

Plus beaux
Qu'un jouet cassé
Les mouvements de l'amour
Dans le vide à ramages
Plantes folles
De la distance traversière
Tout l'espace de la chambre
Tangue
Sur un seul genou
La mémoire voyage
Et se convertit
En mobilier de verre
Volets clos
D'une goutte d'eau
La splendide menace du possible
Se propage
Dans les linges blancs du temps
Un rêve
Un seul rêve
Excède
Scandaleusement
L'insolence du premier soleil
Vie virage du rire
Les ténèbres ont le dos au mur
Plaquées contre une enfance gigantesque
 
Annie Le Brun, Les Saisons dans Ombre pour ombre, Editions Gallimard 2004
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Piccolo Testamento/Petit Testament

Publié le par Fred Pougeard

Cette lueur qui veille la nuit
dans la calotte de ma pensée,
trace nacrée de limace
ou poussière de verre écrasé,
n'est pas lampe d'église ou d'usine
qu'alimente
rouge ou noir, un clerc.
Moi je ne peux te laisser
que l'irisé en témoignage
d'une foi qui fut combattue,
d'une espérance qui brûla, plus lente
qu'une souche dure dans l'âtre.
Conserves-en la poudre dans ton miroir
quand, toute lampe éteinte,
la sardane deviendra infernale
et qu'un Lucifer ténébreux descendra sur une proue
de la Tamise, de l'Hudson, de la Seine,
en secouant ses ailes de bitume à moitié
brisées de fatigue, pour te dire : il est l'heure.
Ce n'est pas un héritage, ni un porte-bonheur
pouvant résister au choc des moussons
sur le fil d'aragne de la mémoire,
mais une histoire ne dure que dans la cendre
et seul s'éteindre est persister. 
Le signal était juste : qui l'a perçu
ne pourra manquer de te retrouver.
Chacun reconnaîtra les siens : l'orgueil
n'était pas fuite, ni l'humilité
veulerie, l'éclair tenu craqué là-bas
n'était pas celui d'une allumette.
 
12 mai 1953
 
Eugenio Montale, La Tourmente et autres textes (1939-1954), 1ere édition 1956 dans Poèmes choisis (1916-1980), édition de Patrice Dyerval Angelini, Gallimard 1991
 
Photo : Eugenio Montale, 1956 copyright Archivio Farabola
 
 
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Un Souffle à peine

Publié le par Fred Pougeard

Au cœur même d'une passerose
le souffle à peine
du jardinier
Bien fragile
ce peu de chose
qui ressuscite par la bouche
le monde multiple
où se couchent
les chiens sauvages
de nos étés...
 
Hôpital Saint Joseph, 7 juin 1986, 9h
 
DE VINS MAUVES ET DOUX
 
Qui m'a repris l'enfance
qui m'a jetée debout
dans ce monde vertical
dans ce peuple de fous ?...
Je voulais être grande
pour me mettre à genoux
sous la tuile des combles
où dorment les chemins
creusés de souvenirs...
 
Qui m'a forcée à dire
des mots serrés en grappes
au vide de la bouche
qu'on lance 
et qu'on rattrape
pour mieux s'en resservir ?...
Des mots
toujours des mots
à ne savoir que faire
de leur banalité...
 
Qui m'a forcée à taire
l'escale des couteaux
dans les herbes foraines
où tournaient les chevaux
à l'intention de l'œil ?...
Je voulais être grande
j'ai appris à user
le cal de mes genoux
sur la terre bafouée
rêvant de graminées
aux gestes puérils
des vins mauves et doux...
 
Hôpital Saint Joseph, 26 juillet 1986
 
Simone Added Sauvageot, L'Œil en dérive, poèmes Maison Rhodanienne de Poésie, 1986
 
Livre trouvé ce jour au Cafégem, rue Passe-Demoiselle, à Reims
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Loin d'ici —près d'ailleurs

Publié le par Fred Pougeard

(Ermitage de la Martinière,2)
 
En dédicace à Orthaire, l'ermite de Malloué
 
Je suis ici. Le monde et la durée,
déjà bien vieux, m'entourent
ils m'attendaient depuis longtemps
 
la lune et le soleil
le ciel et ses étoiles
font de grands cercles autour de moi
 
les frondaisons s'inclinent
les mésanges pépient
je décide de rester un peu.
 
*
 
L'aube est venue
mais non la lumière
 
puis midi
mais non la chaleur
 
puis le soir 
mais non le repos
 
Clarté d'étoile de la nuit !
Couvé au cœur chaud de la nuit !
Paix, paix obscure de la nuit !
 
*
 
Tout ce que je vois 
fait lumière à mes yeux
— astre-monde !
 
Tout ce que j'entends 
me chante dans l'oreille
— musique d'être !
 
Tout ce que je touche
M'éveille à la matière
— divin divers !
 
*
 
En chaque goutte de rosée
s'évaporent
un minuscule soleil matinal
 
et un moi miniature contemplant
plein d'espoir
ce beau jour qui commence
 
Un bouvreuil s'égosille
le prunier est en fleur
Qu'aurais-je à regretter ?
 
*
 
Equinoxe :
la terre se retourne
pour prendre le soleil
 
Vives eaux :
la mer s'étire
pour attraper la lune
 
Minuit :
je sors de chez moi
et rêve aux étoiles.
 
*
 
Entré ce jour dans ma phase mortelle
j'entreprends de dé-vivre :
 
oublier les souvenirs
perdre, offrir ou détruire
les vagues possessions
borner les horizons
 
n'être plus que présent
le plus intensément
ici même à l'instant.
 
*
 
Bâtir ici ma demeure natale
sur les ruines de mon tombeau
 
cheviller un berceau
du bois de mon cercueil
me langer d'un linceul
 
sur un dernier soupir
commencer à parler
 
m'être laissé mourir
et me réenfanter.
 
*
 
Hommage à Bashô
 
Ma cabane n'a pas de clef
car elle n'a pas de porte
 
Elle n'a pas de fenêtres
Parce qu'elle est sans murs
 
N'ayant pas de toit
elle ne fait aucune ombre
 
L'air y est toujours frais
la lumière y est prodigieuse
et elle n'a pas de clef.
 
*
 
Je suis le vieil ermite
Ni route ni sentier
ne mènent où j'habite
 
Je vis seul avec moi
Qui me rendrait visite
qu'il prenne par les bois
 
En moi le monde est mort
Si les loups le dévorent
je saurai bien pourquoi.
 
Daniel de Bruycker, Neuvaines 1 à 3, poésie. maestrÖm reEvolution 2015
 
 
 
 
 
 
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Les pêcheurs

Publié le par Fred Pougeard

La misère seule, Diophante, réveille les savoirs,
Elle seule enseigne le labeur. Car même dormir,
Les soucis mauvais l'interdisent aux ouvriers.
Et si, pour un peu de nuit, ils trouvent le sommeil,
Tout d'un coup les angoisses les bouleversent, dressées au-dessus d'eux.
 
Deux chasseurs de poissons, deux vieillards étaient couchés
Sur des algues sèches, côte à côte, sous une cabane de roseaux,
Ils dormaient contre un mur de feuillages, et près d'eux
Les instruments de leurs luttes : paniers,
cannes à pêche, hameçons, appâts couverts d'algues,
Des lignes, des nasses, des labyrinthes tressés en jonc,
Des cordes, des rames, une vieille barque sur des étais,
Sous leur tête une pauvre vieille natte, et de quoi s'habiller, et des bonnets.
Telles sont les seules ressources des pêcheurs, telle leur richesse. 
 
Le seuil n'avait pas de porte, pas de chien. Toutes ces choses
Leur semblaient superflues : la misère les protégeait.
Nul voisin, mais autour de leur petite cabane
Allait et venait doucement la mer.
Alors que la Lune n'avait pas encore conduit son char à la moitié du chemin,
Les pêcheurs furent réveillés par le travail, et de leurs paupières
Ils chassèrent le sommeil, et passèrent de la pensée à la chanson.
 
ASPHALION. Ils mentent, ami, tous ceux qui ont prétendu que les nuits 
Raccourcissent en été, lorsque Zeus nous portent des jours plus longs.
J'ai déjà vu des milliers de rêves, et toujours pas l'aurore !
Je n'ai pas oublié, mais la nuit traîne encore.
 
LE COMPAGNON. Pourquoi calomnier le bel été ? Car ce n'est pas le temps,
Asphalion, qui a quitté son cours —mais l'inquiétude
Frappe ton sommeil, et c'est ce qui prolonge tes nuits.
 
ASPHALION. As-tu jamais appris à interpréter les rêves ?
C'est qu'ils étaient heureux,
Et je veux que tu aies part à ma vision.
 
LE COMPAGNON. Comme nous partageons notre pêche, partage tous tes rêves.
Car même si je dois recourir à mon seul jugement,
Le meilleur interprète est celui qui suit son jugement.
Et puis nous avons du temps libre. Que faire en effet
Couchés sur des algues, près des vagues, et sans dormir,
Comme l'âne dans les ronces ou la lampe du prytanée ?
Car on dit qu'eux aussi ne trouvent pas le sommeil.
Vas-y, mon ami, l'apparition
Que tu as vue cette nuit, fais-la connaître à ton compagnon.
 
ASPHALION. Hier soir je me suis endormi après avoir travaillé sur la mer
Le repas avait été frugal, nous avions dîné à l'heure juste,
Si tu te rappelles, épargnant nos estomacs, je me suis vu
Assis sur un rocher, affamé, et je guettais
Les poissons, laissant aller l'appât trompeur au bout de ma canne à pêche.
Et un des gros y mordit —oui même dans les rêves,
Tous les chiens voient du pain, et moi du poisson.
Et il était pris à l'hameçon, et le sang coulait.
Ses mouvement faisaient plier ma canne à pêche,
je la serrais de mes deux mains, tout courbé, énorme lutte !
Comment prendre ce poisson avec des crochets si faibles ?
Je lui rappelle la blessure en faisant jouer le hameçon doucement,
Puis je relâche un peu la ligne ; il ne cherche plus à fuir : je tire.
La lutte était finie, j'avais pêché un poisson d'or,
Tout parsemé d'or. Une terreur me saisit :
Et si c'était un poisson ami de Poséidon,
Ou peut-être un trésor d'Amphitrite ?
Doucement, je le décroche de l'hameçon,
En faisant attention à ce que sa bouche ne laisse pas d'or sur les pointes.
Et je fis ce serment : "Plus jamais je ne poserai un pied sur la mer,
je resterai sur la terre à régner sur mon or."
Voilà ce qui m'a réveillé. mais toi, mon ami, exerce maintenant
Ta pensée. Car ce serment que j'ai juré, il me terrifie.
 
LE COMPAGNON. Non, non ne tremble pas. Tu n'as rien juré. Car le poisson
D'or que tu as vu, tu ne l'as pas trouvé, ta vision n'est que mensonge.
Mais si, sans dormir, tu explores ces espaces,
Dans tes rêves, il y a de l'espoir : cherche le poisson charnel,
Si tu ne veux pas mourir de faim à rêver d'or.
 
Théocrite, Les Magiciennes et autres idylles Présentation (magnifique), édition et traduction de Pierre Vesperini. Editions Gallimard 2021 
 
Ill. Le Poisson d'or (1925), Paul Klee
 
 
 
 
 
 
 
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Tenebrae

Publié le par Fred Pougeard

Nous sommes proches, Seigneur,
proches et saisissables.
 
Déjà saisis, Seigneur,
engriffés l'un en l'autre, comme
si la chair d'un chacun de nous était
ta chair, Seigneur.
 
Prie Seigneur,
invoque nous,
nous sommes proches.
 
Nous allions déviés par le vent,
nous allions nous courber
aux mares creuses des marais.
 
Nous allions à l'abreuvoir, Seigneur.
 
C'était du sang, c'était
ce que tu as répandu, Seigneur.
 
Ça brillait.
 
Ça nous jetait ton image aux yeux, Seigneur.
Yeux et bouches sont si ouverts, sont si vides, Seigneur.
Nous avons bu, Seigneur,
le sang et l'image qui était dans le sang, Seigneur.
 
Prie, Seigneur
Nous sommes proches.
 
*
 
Nah sind wir, Herr
nahe und greifbar.
 
Gegriffen schon, Herr,
ineinander verkrallt, als wär
der Leib eines jeden von uns
dein Leib, Herr.
 
Bete, Herr
bete zu uns,
wir sind nah.
 
Windschief gingen wir hin,
gingen wir hin, uns zu bücken
nach Mulde und Maar.
 
Zur Tränke gingen wir, Herr.
 
es war Blut, es war,
was du vergossen, Herr.
 
Es glänzte.
 
Es warf uns dein Bild in die Augen, Herr.
Augen und Mund stehn so offen und leer, Herr.
Wir haben getrunken, Herr.
Das Blut und das Bild, das im Blut war, Herr.
 
Bete, Herr.
Wir sind nah.
 
Paul Celan (1959) dans Poèmes, traduits de l'allemand par John E Jackson, Editions Unes 1987
 
Photo : Paul Celan (1963) par Lüfti Özkök
 
 
 
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Bernard Blot 1932-2025

Publié le par Fred Pougeard

Bernard Blot 
(17 juillet 1932-2 mars 2025)
 
 
     Il est peu de personnes, sinon mes parents et grands parents, pour lesquelles ma reconnaissance est aussi grande.
     Poète, conteur, linguiste et pédagogue* ; petit garçon de Fleury-les-Aubrais fuyant avec ses parents les bombardements incessants sur ce nœud ferroviaire durant la deuxième guerre**, accueilli dans cette Creuse qu'il va observer, aimer et dont il va inlassablement chanter les courbes de Géante***, poète du désir, du désert, diseur des "fabulosités" enfouies par la déprise et ses halliers profus, Bernard traça un signe d'amour entre littérature orale et littérature écrite, et il fut l'un des rares à ne pas mépriser l'une pour pouvoir aimer l'autre.
     Haute silhouette bien connue des guérétois, voix ample, musicale, adorée de bien des creusois puisque, pendant de longues années, sur Radio France Creuse, ce conteur prodigieux a dit chaque semaine un conte nouveau qu'il tricotait à partir du répertoire traditionnel (tâche, il faut le dire, colossale), Bernard fut le passeur inlassable de l'oeuvre des autres (je pense à Jouhandeau, pour le centenaire duquel il abattit à Guéret un travail considérable ; à son ami Pierre Michon dont il lisait merveilleusement, à haute voix, les Vies Minuscules**** notamment), laissant souvent avec pudeur la sienne propre à l'ombre des vieux chênes. Promeneur du Puy de Gaudy, vieille montagne usée par les durées géologiques jusqu'à ses 651 mètres, il en connaissait le moindre arpent et lisait le paysage comme un livre ouvert.

     Dès le début des années 80, il organisa là-haut, avec deux amis, Les Nuits de la Pleine Lune, où les grands noms du récit, art alors en plein renouveau, furent accueillis, une fois par an en septembre, par les flambeaux et plus de mille paires d'oreilles ; tout cela se terminait aux Bains d'en Bas, par un grand bal nocturne, un enchantement, un réenchantement.

     Ses poèmes parfois émaciés, taillés jusqu'à l'os, écrits dans une langue crépitante (Béatrice éblouie, G&g 1998) furent beaucoup pour les pierres, le désir amoureux, l'errance, le paysage, les mystères enfouis d'un parcellaire délabré et magnifique. À travers les contes et légendes, il dessina avec une causticité fine, toute paysanne, une mythologie de ces lieux qu'il traversait à grandes enjambées, retrouvant une des fonctions de cette littérature ayant longtemps vécue de bouche à oreille : réenchanter (encore !) le réel.
     Quand j'eus vingt-cinq ans, au fond d'un trou d'incertitudes, il me prit sous son aile (les deux étaient immenses).
     Merci et adieu.
 
* L'école et les techniques sonores, en collaboration avec Louis Porcher et Jean-François Le Mouel, Armand Colin 1975 ou encore Les Tribulations des formateurs dans les friches de l'illétrisme, en collaboration avec Léna Léticée Chanas, L'Harmattan 2002
 
** Ce pays (la Creuse) "lui avait fait don, à cette époque incertaine, de nuits apaisées gommant peu à peu la peur d'être écrasé dans les abris que faisaient vibrer les proches impacts. Il lui appartenait depuis, de mieux le faire connaître, de lui rendre sa place dans l'histoire des humbles, cette magnifique et terrible histoire et terrible histoire qui est l'authentique saga humaine reliant la mémoire de nos amonts à notre vivace utopie d'avals épanouis. 
Il s'y efforce désormais, et consent à mourir ici chez lui"
 
Bernard Blot, prologue de Des Raisons d'errance (Editions La Fidélienne 2013)
 
***A lire, aux Ardents éditeurs, les livres récents (photo-ci dessus)  qu'il consacra à la Creuse et au Puy de Gaudy avec les dessins de son cher ami le paysagiste Alain Freytet "(3 volumes magnifiques de Chroniques de Creuse et un volume des Contes et Légendes du Puy de Gaudy)
 
**** A lire, dans la revue Siècle 21, n°12 Printemps été 2008, sa contribution Lire les Vies Minuscules, dans Pierre Michon et la fiction autobiographique, à côté des contributions d'Agnès Castiglione, Dominique Viatt, Denis Podalydès et Jacques Bonnafé.
 
***
 
De Bernard, sur ce blog (je publierai périodiquement d'autres poèmes de lui, la plupart dans des publications pour l'instant difficilement trouvables) :
 
https://www.proximitedelamer.fr/2025/02/se-regardant-aller-par-les-chemins-teigneux.html
 
https://www.proximitedelamer.fr/2021/04/mes-grands-chiens-maigres.html
 
https://www.proximitedelamer.fr/2019/01/pour-un-panache-de-lumiere.html
 
https://www.proximitedelamer.fr/2016/10/surgi-des-halliers-de-la-chabrieres-de-nulle-part.html
 
Photo de Bernard, en pleine lecture, sur la lande du Puy La Croix, au-dessus de Vassivière en 2012 (Merci à Alice Blot, sa petite fille et à son cher ami Alain Freytet)

 

 

 

 
 
 
 

 

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Se regardant aller par les chemins teigneux...

Publié le par Fred Pougeard

    
      Se regardant aller par des chemins teigneux qui trouent les taillis, la friche, font cicatrice sur le coteau, grimpent et grimpent infiniment. Marchant pour gagner ces franges de fusion et peut-être s'y défaire. Mais éprouvant de plus en plus le sentiment d'un abrasement minutieux par l'esprit rêche du lieu : ces myriades de présences indiscernables et zonzonnantes, détachant des écailles d'être à petits coups de griffes, si légers qu'il ne les sent qu'à peine, jugerait même parfois que ce ne sont qu'espiègles lècheries de vent ; découvrant alors, et sans qu'il ait velléité de la moindre rébellion, qu'il s'amenuise maintenant, que son existence s'effrite dans l'arène, la sphaigne, l'ornière, la fétuque et la bruyère, dans l'air, la lumière, qu'il ne sera plus tantôt que la limaille d'une espérance : celle, plus têtue et qu'instinct de survie pourtant, de laper à même le ciel, là-haut.
 
     Et que, ne faisant plus qu'un, désormais, avec tout ce que le temps rend à la poussière, il se comble d'immobilité délestée, de durée insoucieuse.
 
Bernard Blot, Le Plateau, avec des gravures de Guy Teste. Editions du Moulin du Got, 2007
 
Ill : Gravure de Guy Teste pour Le Plateau
 
 
 
 
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Ils ont tailladé la fièvre ancienne

Publié le par Fred Pougeard

Lire l'espace du dehors—
Capitale grise qu'essuie le souvenir froid de la pluie.
Et la trace d'une main glacée prise dans la joie de novembre,
à deux pas d'autres amours
enfouies dans la glaise d'un vieux siècle.
 
     Auguste et Camille. Les bronzes reluisent de leurs eaux automnales. Un jardin sous le dôme, or et gris roulant dans l'air, de vieux bancs mouillés qui acculent à la marche, et toi, qui fauches du pied gaiement le désordre des feuilles —shooter, riante, un pan de vie dans les parterres à quatre épingles.
 
     Dans l'asile aux grands murs blancs, l'immuable minéral où mille gestes s'emprisonnent —brio échoué vif dans la pierre, la terre cuite et le marbre — tu dis : sans merci, ils ont tailladé la fièvre ancienne.
 
Valérie Brantôme, On dit le temps. Editions Le Réalgar, collection l'Orpiment 2024. Couverture : Gabriella d'Aiuto, gravure sur argent (Coll.part)
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D'un instant à l'autre

Publié le par Fred Pougeard

En un seul instant,
découvrir la scène entière,
ce que j'appelle la scène
en pensant à beaucoup de nudité.
 
C'est toujours poignant
les mots trouvés n'importe où,
avec lesquels on n'a pas vécu,
mais qui portent votre vie,
quand ils ne la font pas quelquefois rayonner.
 
Des mots conduits au bout de leurs forces
à mesure que la vie s'amenuise.
 
Il arrive même de plus en plus souvent
que la moindre phrase me demande de disparaître,
d'abandonner la partie à jamais.
 
Tout mon travail, je peux l'écrire aujourd'hui,
a consisté à faire tourner les mots comme l'orage
autour de ce que je ne pouvais pas atteindre.
 
Alain Veinstein, Scène tournante (2012) repris dans Le Désir que j'ai, Editions Points Seuil 2021
 
Photo : copyright Jean-Luc Bertini
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